Por A. Darío Lara
Dans les archives de notre Mission diplomatique à Paris reposent de véritables trésors pour l’Histoire.
Les pages que je me permets d’offrir (article publié dans la revue CULTURA, vol. III, n° 7, Mai-août 1980, Banco Central del Ecuador, Quito), prouvent modestement ce que j’affirme.
Espérons que des personnes dotées de davantage de talent offrent un jour ces trésors qui doivent être intégrés à l’histoire diplomatique et culturelle de l’Équateur.
Paris, décembre 1989.
INTRODUCTION
Sans que des recherches très poussées soient nécessaires, on peut trouver des pages curieuses et admirables en consultant un peu les feuilles jaunies ou les volumes poussiéreux des archives. Sans aller chercher les tomes reliés du XIXème siècle, les premières quinze années de notre siècle offre des documents dont il serait utile de se souvenir et dont les personnes s’intéressant à notre pays aimeraient prendre connaissance.
Avant tout, ils constituent la preuve évidente que les Missions diplomatiques ont par le passé effectué, comme elles l’effectuent aujourd’hui, un travail patriotique et discret extrêmement profitable, rarement mis en avant par les journalistes traquant la dernière information quotidienne.
A la fin de mes vacances, j’ai parcouru les quatre volumes conservant la correspondance officielle de Gonzalo Zaldumbide, Ministre plénipotentiaire de l’Équateur à Paris, entre les années 1923 et 1929 (1).
Evidemment, la plupart des communications font référence aux démarches quotidiennes, pénibles et sans transcendance, mais qu’une Mission diplomatique ne peut négliger, dans ses relations avec la Chancellerie du pays dans lequel elle est accréditée, avec les autres Missions, les interminables «particuliers et divers» qui occupent un bonne partie du temps et des inquiétudes d’un Chef de mission et de ses collaborateurs.
Dans le cas de Gonzalo Zaldumbide et au sujet de ses communications, aussi bien officielles que particulières, quelques-unes devront être revues et portées à la connaissance de l’historien, du biographe, pour revendiquer justement cette personnalité hors pair de la diplomatie et des lettres équatoriennes.
LE DIPLOMATE
Le 1er novembre 1923, Gonzalo Zaldumbide informe la Chancellerie équatorienne qu’il a pris ses fonctions d’Envoyé extraordinaire et de Ministre plénipotentiaire de l’Équateur devant le Gouvernement français.
Après la période agitée qui suivit le changement politique de 1895, dans les années 1910-11 en particulier, et qui se termina par le sanglant massacre du 28 janvier 1912, ou la Hoguera Bárbara (2), ce que rappelle un grand livre, l’Équateur connut des jours plus tranquilles après la deuxième administration du général Leonidas Plaza Gutierrez, de 1912 à 1916. De 1916 à 1920, le pays est gouverné par Alfredo Baquerizo Moreno, illustre homme de lois, civiliste lettré, écrivain notoire, respectueux des principes fondamentaux d’un État républicain. Son successeur, Luis Tamayo, qui gouverna de 1920 à 1924, était également un juriste distingué, avocat aux qualités rares et, avant tout, à l’honnêteté exemplaire et légendaire. C’est Luis Tamayo qui désigna Gonzalo Zaldumbide comme son représentant en qualité de Ministre plénipotentiaire en France.
Un autre Équatorien célèbre se trouvait à la tête du Ministère des Affaires Etrangères en 1923: N. Clemente Ponce, juriste et poète, diplomate et internationaliste, traducteur de Virgile, membre de l’Académie de la Langue, comme Alfredo Baquerizo Moreno, préoccupé par les grands problèmes philosophiques et linguistiques. En outre, le dignitaire originaire de Quito qu’était Ponce se dédia complètement «au culte de la patrie», comme le reconnurent également des personnes ne militant pas dans son parti politique.
Ce sont ces gouvernants remarquables de l’Équateur qui confièrent la Légation de Paris au jeune et déjà brillant écrivain originaire de Quito, Gonzalo Zaldumbide.
Dans des termes révélant un style fin et une charmante modestie, Gonzalo Zaldumbide écrit:
«Pour inaugurer ma correspondance officielle avec le Ministère, permettez-moi de réitérer au Gouvernement, et à vous en particulier, mes remerciements pour le grand honneur qui vous a fait me choisir sans autre titre en ma faveur que celui d’avoir consacré plusieurs années déjà au service diplomatique du pays, avec le dévouement exclusif et presque professionnel requis pour cette catégorie d’activité particulière» (3).
Dans les paragraphes qui suivent, quelques phrases révèlent la grande idée que Gonzalo Zaldumbide se faisait du Service Extérieur, du service pour son pays. Cette idée s’oppose à une opinion très courante d’une certaine indifférence, voire d’une négligence dans sa carrière diplomatique au profit de sa grande consécration aux lettres. Dans la note mentionnée, la première envoyée de Paris, on peut lire:
«Comme vous l’avez compris dans votre réforme bien pensée, l’expérience, si elle ne suppose pas toujours, comme elle ne suppose pas dans mon cas, de mérite personnel, est souvent une conseillère irremplaçable. Celle qui m’accompagne grâce à douze ans de savoir-faire, vous avez su la prendre en compte avec bonté. Mes efforts pour continuer à mériter la confiance qui m’a été accordée seront d’autant supérieurs que l’esprit actuel de cette Chancellerie le rend nécessaire: je me suis réjoui de voir que l’obstination intelligente et opportune démontrée par l’actuel Ministre a réussi à faire reconnaître aux Chambres la nécessité de soumettre à des normes définitives une préparation que nous laissions auparavant au hasard. Cette tentative, la plus sérieuse parmi les innombrables entreprises dans le pays, marque la naissance de la carrière diplomatique en Équateur, et ce sera un grand honneur pour l’administration de Monsieur Tamayo d’avoir rendu effective la volonté de sa Chancellerie» (4).
Certaines des phrases précédentes illustrent l’hommage mérité que Gonzalo Zaldumbide rend à l’administration de Luis Tamayo et surtout, au travail intelligent du Ministre des Affaires Etrangères, N. Clemente Ponce.
Cette première note permet également d’établir exactement les dates du terme de sa mission à Rome et du début de sa mission à Paris:
«Ma mission à Rome prenant fin avec l’arrivée de mon successeur le Général Treviño, je quittai cette capitale le 5 septembre, après avoir passé exactement un an dans cette Légation. J’eus le plaisir d’informer verbalement le nouveau Ministre, restant bien sûr à son service, pour tout besoin d’éclaircissement sur les affaires traitées» (5).
Dans la note n° 2, également datée du 1er novembre, Gonzalo Zaldumbide, informant qu’il a reçu l’accord présidentiel le désignant comme Envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire en Grande Bretagne, en résidence à Paris, insiste à nouveau sur ce sentiment profond de «ma dévotion au Service».
Dans cette communication, deux paragraphes illustrent parfaitement sa volonté de servir le pays. D’autre part, ils révèlent le réalisme qui l’animait dans le champ un peu abstrait des relations internationales. Il s’agit de la possibilité d’avoir une représentation diplomatique à Bruxelles et il justifie cette suggestion dans les termes suivants:
«Je profite de l’opportunité pour suggérer au Gouvernement qu’il conviendrait peut-être d’ajouter à cette double représentation (celle de Grande-Bretagne) la représentation de Belgique. Puisque des raisons économiques empêchent la création d’une Légation indépendante à Bruxelles, il serait opportun de charger le Ministre à Paris de la mission de nous représenter en Belgique, pays très intéressant par les possibilités qu’il offre, en matière de capitaux, d’industries, d’entreprises en tout genre et en particuliers, de chemins de fer, d’hommes d’initiative ou de capacité technique, qui se sentent à l’étroit dans ce petit royaume. Une activité telle que celle qui caractérise la nation belge déborde déjà considérablement en Amérique, surtout dans sa principale spécialité: les tramways et chemins de fer. La Belgique, comme tout petit pays, est plus sensible que les grands à l’honneur d’une représentation diplomatique; elle en mérite une assidue et diligente… Si le Gouvernement souhaite étendre mon rayon d’activités à ce champ d’intérêt pratique, je ne cesserai de m’efforcer de mettre en œuvre ma volonté de me rendre utile pour le progrès du pays» (6).
La note n° 3, du 3 novembre 1923, nous révèle d’autres préoccupations du nouveau Ministre plénipotentiaire de l’Équateur. Il a reçu le règlement «cahier d’instructions» pour une meilleure réalisation de ses nouvelles obligations en France, ce qui l’amène au commentaire ci-dessous, si loin de ses penchants, de sa vocation d’écrivain. Il entend donner, comme nous allons le voir, une attention particulière aux problèmes d’ordre économique et commercial. On peut lire:
«En ce qui concerne le traité commercial avec la France, comme c’est cette nation qui l’a dénoncé – simultanément avec la quasi-totalité des traités similaires, dans le but de les uniformiser, en les adaptant tous aux nouvelles conditions issues de la guerre – il semble plus naturel d’attendre que ce soit la France qui prenne l’initiative du nouveau traité, et de nous remettre en attendant à la tacite reconduction de l’ancien traité, lequel nous garantissait le traitement de la nation la plus favorisée…» (7).
Il en vient ensuite à commenter des détails de ces relations commerciales, se référant plus particulièrement à «des gestions initiées là-bas au motif de l’insuffisance et du non-respect de la mission d’aviation française»; à des problèmes de tarifs consulaires et aux réclamations des porteurs d’obligations du chemin de fer français (8). Désireux de donner à ces sujets l’importance due, il ajoute:
«Lorsque ce Ministère mettra en œuvre l’organisation de sa promotion comme il le projette, je veillerai à la meilleure diffusion des rapports et des données communiqués. Je vous serai reconnaissant de continuer à nous informer des diverses gestions menées par ce bureau. Ce contact avec le Ministre est apprécié à la mesure de la distance qui nous sépare» (9).
La note n° 4, également datée du 3 novembre, est un modèle pouvant servir à de nombreux fonctionnaires ayant connu et connaissant les mêmes problèmes. Après avoir rappelé dans deux télégrammes successifs «le manque d’ordre» dans le versement des salaires, il remercie la Chancellerie d’avoir traité sa demande. Toutefois, ce n’est pas l’essentiel. Préoccupé par le cadre de sa représentation, pour la bonne réputation de son pays, il doit s’occuper de la question de son logement. Ce détail lui permet d’exprimer ses idées pouvant être très instructives aujourd’hui encore pour les Chefs de Missions diplomatiques. Gonzalo Zaldumbide, qui avait sa résidence personnelle à Paris, consulte ainsi le Gouvernement pour savoir si les fonds pour une résidence officielle lui seront alloués. Il écrit:
«J’ai dû vous demander si le Gouvernement, de même qu’il paie dans d’autres capitales, depuis une date antérieure à la réforme en élaboration, était disposé, comme la réforme le détermine précisément, à payer la résidence de son représentant à Paris. Face à l’obligation de changer de logement pour des raisons de prestige, j’ai besoin de savoir si je dois le faire en recourant uniquement à mon salaire, ou si je vais bénéficier de la nouvelle loi. Dans le premier cas, le logement que je devrai choisir sera évidemment plus modeste que dans le second cas. Pour la bonne représentation extérieure – que les petits pays doivent entretenir avec davantage de soin, puisqu’elle est, faute de meilleure connaissance, l’un des signes déterminant l’idée de la majorité des gens – il conviendrait de souhaiter que l’Équateur se défasse de cette figure triste et déshéritée qu’elle a présentée jusqu’à aujourd’hui dans un milieu où les apparences décident de beaucoup de choses» (10).
Nous savons à quel point ces préoccupations matérielles liées à l’installation d’un Chef de Mission sont dérangeantes, et qu’elles se transforment en un véritable cauchemar lorsque l’on ne dispose pas de locaux propres, ce qui est le cas dans la majorité des pays. Souvent, c’est un facteur décidant de la réussite ou de l’échec de l’activité diplomatique. C’est ainsi que l’avait compris Gonzalo Zaldumbide, disposé à sacrifier ses aspirations personnelles, sa tranquillité bénéfique à son travail littéraire. Lisons les lignes suivantes:
«Si c’était seulement pour moi, je ne laisserais pas mon logement actuel, dans lequel mes habitudes trouvent un confort et une satisfaction suffisants. Si j’estime nécessaire de changer et de sacrifier le repos de mon indépendance en me préparant à un rôle social plein de compromis, c’est au bénéfice de la réputation de l’Équateur qui… ne doit pas rendre honteuse son attitude de parent pauvre» (11).
Vient ensuite un paragraphe très instructif sur la vie quotidienne de nos représentations diplomatiques:
«Vous permettrez évidemment, Monsieur le Ministre, que parmi les possibilités d’une solution satisfaisante, celle d’adjoindre les bureaux à la résidence particulière du Ministre soit exclue. Dans les cas où la colonie est petite et les tâches peu nombreuses, cette union est envisageable. Pas ici. Une habitude ancrée fait de la Légation en France le lieu de réunion le plus ouvert aux nombreux compatriotes qui considèrent, si l’on peut dire, ce morceau de patrie comme leur propre maison. Il est très bien qu’il en soit ainsi et que les bureaux soient complètement dissociés de la vie privée. Toutefois les installer dans la propre maison, c’est déposséder celle-ci de toute liberté, de toute faculté de sélection et priver le Ministre de toute liberté. L’actuel bureau de la Légation situé avenue de Wagram suffirait largement si 10 mille francs étaient accordés pour aménager une pièce supplémentaire, aujourd’hui inutilisable. En décidant de cet aménagement d’une pièce supplémentaire en ce qui concerne le logement du Ministre, le problème serait résolu de la manière la plus raisonnable et légitime» (12).
Grâce à la presse de l’époque et à divers témoignages – comme celui de Vasconcelos que je rappellerai ensuite – on sait que Gonzalo Zaldumbide donna à sa résidence à Paris un éclat exceptionnel, la transformant en un centre social et littéraire qui marqua la vie parisienne de l’époque.
L’ANALYSTE POLITIQUE
La lecture des notes et certaines des pages rédigées par le Ministre Gonzalo Zaldumbide il y a plus de cinquante ans surprend par la précision des idées et par l’actualité des remarques. L’une des principales priorités des représentations diplomatiques consiste à informer sur la politique interne, internationale du pays dans lequel elles sont accréditées. Ainsi, la note n° 7, du 10 novembre 1923, constitue un précieux témoignage de la manière dont Gonzalo Zaldumbide concevait cette obligation. Ses idées du devoir et de la qualité de l’information sont claires et il les résume en trois pages qui aujourd’hui encore peuvent servir de directives. Gonzalo Zaldumbide écrit:
«En reprenant la série de notes d’information générale que j’avais l’habitude de préparer en tant que Secrétaire de cette Délégation, permettez-moi de rappeler quelques-unes des observations qui viennent à l’esprit à ce sujet et que j’ai eu l’occasion de vous exposer plus amplement» (13).
Naturellement, vers 1923 les modalités de l’information n’étaient pas les mêmes qu’aux siècles précédents, elles étaient également bien différentes de celles du XIXème siècle. La modernisation des moyens de communication donnaient un aspect nouveau à ce problème:
«La distance qui nous sépare, le temps que la correspondance met à arriver, nuisent dans la majorité des cas à l’utilité de ces notes d’information politique. Leur actualité se dissipe en chemin, les prévisions qu’elles présentent sont souvent démenties par les faits survenus dans l’intervalle… la recherche journalistique a envahi tous les recoins et le télégramme dit tout: on sait l’après-midi ce qui s’est passé le matin aux antipodes. Le télégramme ne se limite pas à la transmission des informations, il les accompagne de commentaires et d’interprétations, de sorte qu’on peut affirmer qu’à Quito des échos de ce que disent un Lloyd George ou un Poincaré se répercutent le jour même où ces messieurs partagent la une de l’actualité universelle» (14).
L’essentiel pour Gonzalo Zaldumbide réside dans «le sens de certains faits d’importance durable», ceux qui se prêtent à «des éclaircissements ou des réflexions non dépourvus d’intérêt malgré la distance temporelle et spatiale» (15). Bien que les faits se référant à l’Équateur et même à l’Amérique ne soient pas très abondants, il est naturel pour un homme de sa qualité intellectuelle d’étendre l’information à tout problème d’une portée un peu plus locale ou épisodique. La remarque qui suit ne manque pas d’esprit et a aussi son actualité:
«Je n’ignore pas que, bien souvent, le désir d’information semble, et non sans fondement, un zèle de désœuvrés cherchant à démontrer qu’ils travaillent, et je comprends l’ironie raisonnable avec laquelle on excuse cette justification inoffensive d’un salaire bien gagné pour un poste bien desservi».
Et comment ne pas apprécier ces dernières lignes traduisant l’honnêteté intellectuelle, la sincérité de conduite de ce remarquable serviteur de l’Équateur:
«L’impartialité de mon information sera celle qui me dicte ma manière de voir. Ma sympathie pour la France relève du domaine de mes goûts personnels et littéraires. En politique interne ou internationale, je ne connais qu’un intérêt: l’intérêt patriote, l’intérêt hispano-américain, qui ne coïncident pas toujours avec le sens français de la civilisation et des relations internationales» (16).
Quelques jours seulement se sont écoulés depuis que le Ministre de l’Équateur a pris ses fonctions à Paris. Nous connaissons déjà un peu les sentiments qui l’animent et nous venons de voir quelles sont ses idées en ce qui concerne l’important chapitre de l’information. Celle-ci ne consiste pas seulement en l’énumération d’événements, en un bref résumé de faits plus ou moins liés à la politique intérieure et internationale du pays, déjà transmis et commentés par les moyens d’information modernes. Le plus important ce sont les opinions, le commentaire éclairé que le Chef de la Mission envoie pour instruire son gouvernement.
C’est exactement ce que l’on peut lire dans la note n° 8 du 11 novembre 1923, offrant comme une démonstration de la théorie qu’il avait exposée, l’idée qu’il se faisait de l’information. A peine dix jours après son installation, l’encre du célèbre Armistice de Versailles est encore fraîche. Gonzalo Zaldumbide remet une note avec un commentaire serein et perspicace sur ce qui se passe alors en France, en Europe. La lecture de ce rapport est une preuve convaincante de la vision exacte du diplomate équatorien, témoignant de sa profonde connaissance de l’histoire française, européenne ainsi que de la justesse de son jugement. Il commence par rappeler les circonstances dans lesquelles ont eu lieu la défaite allemande et la victoire alliée:
«La commémoration en cette date de l’armistice de 1918 convainc de façon plus unanime que c’était une erreur capitale de l’avoir conclu avant que le corps d’armée du Général Castelneau n’ait pénétré en Allemagne par le flanc droit, comme cela avait déjà été déterminé, ou avant de préparer la sécurité de la France de façon définitive» (17).
Suivent quelques réflexions sur l’état d’esprit de l’armée et du peuple allemand:
«L’État-major allemand, avant le plan français de fin de campagne, s’est incontestablement rendu à l’évidence du désastre ; mais le soldat, les troupes, le peuple, qui n’ont pas vu de leurs yeux, qui n’ont pas senti dans leur dos la défaite, seulement inscrite dans les plans et les lettres des chefs, n’ont pas appris la leçon d’humilité et de remords qui leur aurait été bénéfique pour ne plus penser à la guerre comme ils y pensent à tout moment de mille façons» (18).
Bien sûr, il n’est pas moins sévère avec les gouvernements et les chefs alliés qui n’ont pas su prévoir les conséquences:
«… Une nation comme l’Allemagne ne pourra s’admettre vaincue, même si elle l’était vraiment, qu’en employant contre elle les méthodes qu’elle avait elle-même préconisées. On oublie généralement ce que la France a souffert une fois vainqueur. La magnanimité mal comprise de l’armistice, l’idéologie wilsonienne d’un romantisme puritain si funeste et inopérant, firent croire que la victoire était incomplète et plus verbale que politique, doctrines de principes encore en formation, plus que l’application d’une méthode efficace pour des réalités concrètes… Le Président Wilson crut que l’Allemagne débarrassée de son Kaiser et de ses junkers se rendrait, heureuse et confiante, à la démocratie pacifiste. Mais il n’y a rien de moins démocratique que l’Allemagne» (19).
Ces réflexions le mènent à d’autres considérations d’ordre plus universel, dans lesquelles se reflète son esprit d’humaniste formé dans la culture gréco-latine, et dans la culture française en particulier:
«L’unité allemande fut l’idéal de l’ensemble de l’Europe libérale du siècle passé. L’unité est une idée latine, romaine, pas germanique, simplement adoptée par l’indestructible particularisme allemand. Le triomphe la consolida, le malheur la resserra au début, mais la misère attise à nouveau les égoïsmes et qui sait si la paix ne viendra pas de cet unique remède: la réapparition volontaire des trois Allemagne au lieu de l’empire bismarckien» (20).
L'exactitude des lignes suivantes démontre à quel point Gonzalo Zaldumbide avait réfléchi aux faits passés et présents, pour ainsi prévoir l’avenir:
«Aujourd’hui la paix est une guerre déguisée. Et la guerre à mort viendra dévaster l’Europe d’ici quelques années, pour peu que l’on permette la réhabilitation de l’Allemagne unie. Une Allemagne pacifique est un mythe, malheureusement… Au cours de la prochaine guerre de revanche, beaucoup plus de sang sera versé qu’en trois ou quatre jours supplémentaires de poursuite de la victoire jusqu’à la fin, jusqu’au désarmement moral de l’ennemi et à sa réduction à des idées plus pacifiques par la douleur bien sentie de sa responsabilité dans le malheur» (21).
Dans ce tableau lugubre dont nous connaissons le déroulement, et au-delà de ses prévisions, Gonzalo Zaldumbide ne perd pas de vue ses origines: le souvenir du lointain continent vient donner une teinte optimiste et lui dicte les mots de son rapport:
«Cependant, le monde ne retrouvera ni la tranquillité ni l’harmonie tant que dure l’actuel état d’anarchie d’un côté et de despotisme de l’autre, de pacifisme illusoire, aveugle, endormant chez les uns et de bellicisme vindicatif chez les autres. L’Europe fait penser avec davantage de foi et d’espoir à l’Amérique, où l’avenir n’est pas captif de ces terribles fatalités historiques» (22).
Témoin de l’affreux drame qui secoua l’humanité de 1939 à 1945, Gonzalo Zaldumbide ne dut s'empêcher de se rappeler que, plus d’une fois au cours des années précédentes, il avait déjà vu venir cet inévitable conflit dont il avait si lucidement analysé les causes dans ses communiqués depuis Paris.
LE REPRÉSENTANT CULTUREL
Comme on peut le remarquer, grâce au commentaire de ces quelques pages, la correspondance officielle de Gonzalo Zaldumbide, dès les premières semaines de son activité diplomatique à Paris, offre une variété et une qualité qu’il maintint durant toute la période 1923-1929 où il resta à la tête de cette Légation. Bien sûr, sa prose castillane brille encore dans ces pages officielles par une élégance qui n’a rien à voir avec le jargon traditionnel de ces documents. Avec quelle satisfaction les fonctionnaires de la Chancellerie – ces années-là – devaient recevoir ces communications et savourer, outre le contenu de fond, la forme qui distinguait le brillant styliste ! Il est vrai, d’autre part, que l’Équateur, comme d’autres pays hispano-américains, confia très souvent les tâches diplomatiques aux écrivains les plus importants de son histoire littéraire. Les noms de: Rubén Dario, Alfonso Reyes, García Calderón, Gabriela Mistral, Pablo Neruda, Miguel Angel Asturias, entre autres, sont là pour le prouver. En ce qui concerne l’Équateur, du poète Olmedo, dans les premières années de la République, à Benjamín Carrión, Gonzalo Escudero, Jorge Carrera Andrade, Jorge Icaza, Alfonso Barrera, au cours des dernières années, confirment une telle affirmation.
Rien d’étrange, donc, à ce que dans les volumes de sa correspondance officielle, Gonzalo Zaldumbide se soit d’abord préoccupé des thèmes nettement culturels et littéraires. De telles pages sont nombreuses, elles seules mériteraient une analyse particulière. Je me limiterai ici à un aspect marquant le séjour de Gonzalo Zaldumbide à la Légation de Paris. Je veux faire référence à ce que j’appellerai son «oeuvre montalvine».
Diverses circonstances sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici ont fait que le nom de Juan Montalvo résonnait encore dans toute sa splendeur parmi la génération d’écrivains hispano-américains résidant ces années-là à Paris; son prestige couvrait l’Équateur, sa patrie lointaine, d’une gloire inégalée. Dans ces circonstances, Gonzalo Zaldumbide, déjà reconnu comme un écrivain notoire, dans la force de ses quarante ans, en pleine possession de ses qualités d’intelligence, auxquelles s’ajoutaient celles de sa lignée, de sa fortune et même un goût exquis dans l’art de vivre, a vu sa résidence devenir un centre social et intellectuel où se côtoyait l’élégance parisienne la plus raffinée, comme le signale avec éclat la presse de ces années-là (23).
Maître de la langue, considéré depuis lors comme le meilleur épigone de Montalvo, aujourd’hui, plus de cinquante ans plus tard, on peut affirmer, avec de nombreuses raisons, que Montalvo et Zaldumbide représentent les deux figures de proue de la prose équatorienne de tous les temps.
Après avoir écrit des pages admirables sur Henri Barbusse, d’Annunzio, Rodo, Gonzalo Zaldumbide consacrera à Montalvo une étude inégalée. Admirateur inconditionnel de l’auteur des Catilinarias, du Cosmopolita, le Ministre à Paris dédia une grande partie de son activité culturelle à la diffusion de l’œuvre et à faire connaître l’illustre équatorien. Il est indiscutable que son activité montalvine et équatorienne fut et restera exemplaire. Dès 1925, préoccupé par la publication des œuvres de Juan Montalvo, par la maison d’édition Garnier, il couronne le travail du grand Cosmopolite et matérialise son admiration pour celui-ci en faisant apposer une plaque au numéro 26 de la rue Cardinet où il mourut, le 17 janvier 1889.
Dans le communiqué n° 185 du 29 mai 1925, il informe Quito qu’Unamuno a accepté d’écrire un prologue des Catilinarias. Il en remet une copie et l’accompagne du commentaire suivant:
«Il a accepté d’écrire ce texte magnifique auquel je fais référence, malgré sa résistance première, en raison des relations d’amitié particulières que nous entretenons. On remarque que, une fois le travail commencé, Unamuno y a mis non seulement son énorme talent, mais également une intensité extraordinaire, comme s’il s’était approprié la vie et l’œuvre de Montalvo…» (24).
Par le télégramme n° 83, du 19 juin 1925, il a informé que la plaque commémorative serait inaugurée le 27 du même mois. Dans sa note n° 187, du 22 juin, il poursuit en se référant au Comité qui a été formé:
«Essayant qu’il soit composé de personnalités largement connues où que ce soit et présentant, d’une certaine manière, un caractère de représentants des diverses valeurs ou entités intellectuelles, littéraires et diplomatiques. Ainsi : Unamuno représente la race et la langue espagnoles, le marquis de Peralta, doyen du corps diplomatique les nations de l’Amérique latine en France, … et les autres membres distingués, l’Académie, l’Université, le Parlement et la presse française» (25).
Effectivement, il suffit de lire la liste des orateurs et des personnalités qui participèrent à cette cérémonie et à la réception qui suivit à la Légation, pour apprécier la qualité exceptionnelle d’un événement qui marqua les jours parisiens de cette année-là, comme on peut le lire dans les commentaires de différents journaux et revues de l’époque.
Il convient de souligner un détail: lorsqu’il annonce qu’il donnera ce jour-là une réception diplomatique et mondaine, le Ministre Zaldumbide demande au Gouvernement la somme de 120 dollars. Nous verrons ensuite à quoi cette somme était destinée.
Dans un communiqué très élégant, le 24 juin, il prévient le propriétaire du 26 rue Cardinet que:
«…La Légation se préoccupant pour honorer la mémoire de Monsieur Montalvo, une plaque commémorative sera apposée le samedi 27 au matin et l’inauguration aura lieu le 29 juin. Je vous confirme que la Légation prendra en charge l’entretien complet de cette plaque et que rien ne sera demandé au propriétaire de l’immeuble…» (26).
Par le télégramme n° 86, du 6 juillet, il informe la Chancellerie de l’inauguration de la plaque commémorative et de la réception diplomatique et mondaine réalisée à la résidence du Ministre. Et par l’intermédiaire de la note n° 196, datée du 8 du même mois, il développe ce même sujet sur cinq pages qui devraient avoir leur place dans la bibliographie montalvine. Gonzalo Zaldumbide écrit:
«Je vais décrire plus en détail la cérémonie de l'apposition de la plaque commémorative sur la maison où est mort Juan Montalvo parce que, outre le fait qu’elle traduit un juste hommage à notre grand auteur, elle a un sens flatteur pour le sentiment équatorien.
À Paris, en raison de la taille de la ville, il est difficile d’attirer l’attention du public, car les différents groupes sociaux n’ont que trop d’événements pour s’occuper ou s’enthousiasmer. Ainsi, de nombreux noms, hommages, fêtes et publications passent inaperçus. Le peuple français compte tellement de concitoyens et de choses auxquels s’intéresser qu'il privilégie les actualités nationales ou liées à l’intérêt de la nation. De plus, en raison des circonstances, l’attention de la société et de la presse françaises est complètement absorbée par les événements financiers et internationaux actuels.
Pour cette raison il est très difficile pour nos pays, méconnaissant les impératifs pressants du jour, d’effectuer une publicité efficace, malgré tous nos efforts à l’intérieur de nos frontières. Ainsi, la majorité des événements sud-américains passent presque inaperçus sur le plan politique ou n’intéressent que les noyaux sud-américains, et n’obtiennent qu’une faible diffusion dans la presse.
En outre, c’est avec réticence que la presse française ouvre ses colonnes. Publier un article dans un journal n’a rien à voir avec la facilité par laquelle nous menons à bien quotidiennement ce type d’opération. Et la difficulté n’est pas l’apanage des étrangers.
Par ailleurs, même si la cérémonie en question avait pour but de glorifier un grand homme de lettres, sa portée a dépassé le cadre littéraire.
Grâce au rang atteint par Montalvo dans le monde de langue hispanique et à l’admiration ressentie pour lui par quelques hispanisants français; et peut-être également grâce à certaines relations que j’ai établies avec la presse, la société et les écrivains de cette république, il a été possible de donner à l’hommage en question une importance qui, je puis sincèrement le déclarer, a intéressé un large public, non seulement en rappelant le nom de notre génial polémiste, mais également en faisant parler de notre pays, doté de ses lois si libérales et présentant un avenir prometteur.
Le simple fait que le nom de «République de l’Équateur» apparaisse en tant que pays capable d'engendrer un homme de l’envergure de Montalvo, constitue déjà une bonne publicité pour les milliers d’individus qui liront cette inscription tous les jours.
Il convient en outre de rappeler que Montalvo est le premier sud-américain à recevoir cette distinction ici.
Je vous envoie, accompagnant la présente note, les coupures des principaux journaux publiés à Paris. Les cent journaux liés à l’Association de la presse latine et tous les journaux émanant des quatre agences télégraphiques siégeant à Paris ont également publié des articles relatifs à la cérémonie.
La liste prestigieuse des invités a également grandement contribué à la réussite de mon projet. L’énumération de ceux-ci suffit à prouver qu’il s’agit de personnalités connues en Europe et en Amérique.
Ainsi Richepin est notamment un éminent exposant, respecté par ce peuple et admiré; Unamuno, aujourd’hui plus glorieux que jamais, est un symbole de la pensée, de la noblesse et de la ténacité de la race. J’aimerais consigner ici mes commentaires au sujet de l’émotion ressentie par les participants lors de l’inauguration de la plaque par le maître de Salamanque, lorsqu’il a prononcé son discours avec ferveur et conviction, rappelant l’histoire d’un autre exilé, comme s’il parlait de sa propre histoire.
Parmi les discours dont je donne la liste dans le télégramme, il convient de souligner la valeur particulière de celle du Secrétaire de la municipalité de Paris, selon lequel cette ville se sentait fière d’accueillir dans la capitale la plaque perpétuant la mémoire d’un notable équatorien amoureux de la France.
Ont assisté à la cérémonie la quasi-totalité du corps diplomatique américain, de la communauté équatorienne et de nombreux membres des autres communautés latino-américaines, des personnalités françaises, parmi lesquelles le représentant du Ministère des Affaires Etrangères et de nombreux écrivains et professeurs.
La plaque de marbre posée sur la maison N° 26 DE LA RUE Cardinet – devenue aujourd’hui inoubliable pour les Équatoriens – porte l’inscription suivante: JUAN MONTALVO NÉ À AMBATO (ÉQUATEUR) LE 13 AVRIL 1832, MORT À PARIS LE 17 JANVIER 1889, POLÉMISTE, ESSAYISTE, PENSEUR, MAÎTRE INSIGNE DE LA PROSE ESPAGNOLE, CHOISIT LA FRANCE, SON PAYS D’ÉLECTION, POUR Y FINIR SES JOURS, ET MOURUT DANS CETTE MAISON.
À l’issue de la cérémonie, ma résidence a accueilli la réception. J’avais invité plus de cinq cents personnes, parmi lesquelles toutes les personnalités officielles et diplomatiques à qui il convenait de réserver cette attention. Je me suis vu largement récompensé par la présence de plus de quatre cent convives. La réception mondaine, d’une convivialité notoire, a été particulièrement satisfaisante et à ce que je me souvienne, peu de fêtes organisées ici par les Ambassades ou les Légations des plus grands pays ont réussi à réunir une assistance aussi nombreuse et aussi prestigieuse.
À juste titre, un des journaux de Paris a ainsi parlé de cet événement de la Légation de l’Équateur comme une fête de l’amitié latine.
La communauté équatorienne, qui avait été invitée dans son ensemble, m’a fait l’honneur de participer dans sa quasi-totalité…» (27).
Un communiqué d’une telle importance s’achève par ces lignes qui sembleront prosaïques, mais qui révèlent l’homme d’une profonde délicatesse, le fonctionnaire hautement responsable:
«En ce qui concerne l’indemnité de cent vingt dollars, je crois qu’il est de mon devoir de vous informer que je l’ai dépensée uniquement dans une partie du buffet. Pour ma part j’ai eu l’honneur de payer, à titre personnel, la plaque, les invitations, et les frais courants nécessaires pour couvrir les services de presse, ainsi que le champagne. J’ai également le plaisir de vous faire parvenir quelques photographies prises au cours de la cérémonie» (28).
A une autre reprise, Gonzalo Zaldumbide fait référence à cet inoubliable événement. C’est le 6 août 1925, dans la note n° 203, accompagnant un exemplaire de la Revue de l’Amérique latine, dans lequel sont publiés les discours prononcés le jour de la pose de la plaque, ainsi qu’une magnifique traduction de quelques pages de Montalvo et un fragment d’une superbe étude de Rodó.
Pensant peut-être qu’à Quito la brièveté de certains discours attirerait l’attention, il ajoute l’explication suivante:
«Il convient, me semble-t-il, d’indiquer à Monsieur le Ministre que les discours furent si courts car, la cérémonie devant se tenir dans la rue Cardinet et devant la maison où devait être posé le marbre, la police accorda seulement quinze minutes pour l’interruption du trafic conformément aux règlements en vigueur. En outre, le lieu où la cérémonie allait avoir lieu ne se prêtait pas à la prolonger très longtemps…» (29).
Dans ce même communiqué, avec la délicatesse qui caractérisa ses actes durant toute sa vie, il mentionne à nouveau l’argent qu’il a reçu pour la cérémonie. Ce texte est un modèle de simplicité, mais pour ceux qui connaissent de près la réalité de nos bureaux diplomatiques, il est très révélateur de tant d’angoisses qu’ont à plusieurs reprises connues de nombreux Chefs de Mission, même ceux dotés d’un «pécule personnel».
«La collaboration de cent vingt dollars que j’ai demandée pour la réception le jour de la pose de la plaque fut destinée à couvrir seulement une partie du buffet. Ainsi, j’ai le plaisir de vous envoyer l’addition qui accrédite mon affirmation; bien, les cent vingt dollars représentant, avec le taux de change élevé de vingt et un francs, seulement deux mille cinq cents francs. Permettez-moi, Monsieur le Ministre, d’insister sur ce point, parce que je veux faire remarquer qu’une réception de l’amplitude de celle que j’ai organisée, ne pouvait pas s’effectuer avec une si petite somme, j’ai ainsi eu le plaisir de couvrir avec mon salaire la majorité des frais, tels que ceux relatifs à la plaque de marbre, à sa gravure, à sa pose, ainsi qu’aux invitations, aux fleurs, au champagne et au service…» (30).
J’ai eu l’occasion de lire à la Bibliothèque Nationale de Paris la revue à laquelle fait référence Gonzalo Zaldumbide et les commentaires de la presse parisienne au sujet de la cérémonie du 29 juin 1925, ainsi qu’aux autres activités de l’illustre écrivain et diplomate équatorien. A juste titre, Vasconcelos, très bien informé de la brillante représentation de son compatriote et de ce qui se passait dans la capitale française ces années-là, écrivait: «Alfonso Reyes soutenait la Légation mexicaine avec moins de luxe que Gonzalo Zaldumbide soutenait la sienne, mais avec autant d’éclat» (31).
J’ai longuement fait référence au chapitre des relations franco-latino-américaines en commentant la publication, fin 1978, du livre de Paulette Patout, professeur à l’université de Toulouse, d’une qualité exceptionnelle. Le livre a pour titre: Alfonso Reyes et la France, ou les relations de cet écrivain et diplomate mexicain avec la France et les Français. En outre, ce livre constitue également une précieuse présentation de ce groupe d’écrivains latino-américains qui résidèrent à Paris avant ou après la première guerre mondiale, en particulier au cours de la décennie 1920-30, lorsqu’Alfonso Reyes, laissant ses fonctions de Ministre plénipotentiaire à Madrid, vint exercer des fonctions analogues à Paris. Parmi tous ces noms, tous profondément liés à la culture française, aux côtés de l’illustre mexicain, nous citerons : Gabriel Mistral, German Arciniegas, le franco-uruguayen Jules Supervielle, le franco-argentin Max Daireaux, Miguel Angel Asturias, C. Parra Pérez, Alberto Zerega Fombona, les équatoriens Alfredo Gangotena, Benjamín Carrión… qui succédèrent à la génération d’Amado Nervo, Alcides Arguedas, Enrique Larreta, Enrique Gómez Carrillo, les frères Francisco et Ventura García Calderón, etc. (32).
Dans ce chapitre exceptionnel concernant les relations d’Alfonso Reyes, Paulette Patout met en avant le nom de Gonzalo Zaldumbide:
«Parmi les latino-américains que Reyes rencontra à Paris, l’un de ses meilleurs amis fut Gonzalo Zaldumbide, grand représentant de l’élite américaine. Naturellement Gonzalo Zaldumbide était une figure éminente de cette colonie américaine et il fut, peut-être, l’ami de prédilection d’Alfonso Reyes. C’est pour cette raison que j’ai réservé à Gonzalo Zaldumbide de nombreuses pages de mon étude, je crois de que ce sont les premières lignes consacrées par la critique française à cette grande personnalité des lettres équatoriennes et à son œuvre d’écrivain et de diplomate en France…» (33).
En effet, jusqu’à aujourd’hui très peu de choses ont été écrites sur le travail réalisé à Paris par Gonzalo Zaldumbide. Son activité en tant que diplomate, écrivain et diffuseur de tout ce qui pouvait grandir l’Équateur est presque tombée dans l’oubli. J’ai vu avec satisfaction que Paulette Patout s’est référée à des documents de ces années 20-30 exaltant la personnalité de notre compatriote. J’ai pu moi aussi réunir certains de ces documents et les proposer à une nouvelle lecture. Aux pages 194 et suivantes du livre Juan Montalvo en Paris (34), j’ai rappelé l’immense œuvre montalvine de Gonzalo Zaldumbide; dans le numéro 9 de la revue Equateur (décembre 1969), j’ai reproduit un magnifique article, en français, de Gonzalo Zaldumbide sur Remigio Crespo Toral, important poète de notre littérature (35) ***.
Tant de belles pages dans les quatre volumes de la correspondance du Ministre plénipotentiaire, tant d’articles comme celui que je signale ci-dessus attendent d’être un jour dépoussiérés, sortis de l’oubli et intégrés au trésor de la culture, aux lettres équatoriennes! Il s’agit peut-être de l’une des tâches les plus urgentes et les plus nobles que devraient assumer les organismes responsables de la culture nationale: la Chancellerie équatorienne, le Ministère de l’Education et de la Culture, la Maison de la Culture équatorienne…
L’histoire d’un pays n’est pas que l’entassement de dates de batailles, de guerres fratricides, de combats politiques, de la succession de gouvernants plus ou moins dignes de souvenir. L’histoire est, avant tout, cette impulsion créatrice d’un peuple qui s’exprime à travers ses penseurs, ses artistes, les forgerons de sa culture… Et celle-ci selon Jean Guéhenno, n’est qu’une «manière d’être l’individu fait de curiosité et d’ascèse, en vue de développer sa personnalité et d’être présent dans la société de son temps».
NOTES:
(1) Quatre volumes reliés (0,32*0,22): volume I 1923-1925; II id. 1926; III id. 1927: IV id. 1928-1929.
(2) Alfredo Pareja Diezcanseco, La Hoguera Bárbara (vida de Eloy Alfaro), 1944.
(3) Volume I, p. 1.
(4) Id., p. 2.
(5) Ibidem.
(6) Id., pp. 4-5.
(7) Id., pp. 7-8.
(8) Id., p. 8.
(9) Volume I, p. 9.
(10) Id., pp. 11-12.
(11) Id., pp. 12-13.
(12) Id., p. 14.
(13) Id., p. 17.
(14) Id., pp. 17-18.
(15) Id., p. 19.
(16) Ibidem.
(17) Id., p. 21.
(18) Ibidem.
(19) Id., pp. 22-23.
(20) id., pp. 23-24.
(21) Id., p. 24.
(22) Id., p. 24.
(23) Entre autres: «Revue de l’Amérique latine», «The Paris Times», «L’Action latine», «Paris-Sud», «La Vie latine», etc.
(24) Volume I, p. 679.
(25) Id., pp. 709-710.
(26) Id., p. 713.
(27) Id., pp. 736-740.
(28) Id., p. 740.
(29) Id., pp. 781-782.
(30) Id., p. 782.
(31) Paulette Patout, Alfonso Reyes et la France, 1978, p. 263.
(32) Ob. Cit.
(33) Ob. Cit. p. 267 et lettre personnelle.
(34) Juan Montalvo en Paris, procès verbaux du colloque de Besançon, les Belles Lettres, Paris, 1976.
(35) «L’Équateur vous attend». (9) novembre-décembre, 1969, pp 4-5.
*** Finalement, aussi bien dans mon livre Juan Montalvo en París (tomes I et II. Subsecretaría de Cultura e Ilustre Municipio de Ambato; 1981) que dans Este otro Montalvo (Abya-Yala y Casa Montalvo: 1996) de Claude Lara Brozzesi, la figure de Gonzalo Zaldumbide et son oeuvre montalvine considérable, laquelle n’a pas été égalée jusqu’à ce jour, sont tout particulièrement mis en avant.
Dans les archives de notre Mission diplomatique à Paris reposent de véritables trésors pour l’Histoire.
Les pages que je me permets d’offrir (article publié dans la revue CULTURA, vol. III, n° 7, Mai-août 1980, Banco Central del Ecuador, Quito), prouvent modestement ce que j’affirme.
Espérons que des personnes dotées de davantage de talent offrent un jour ces trésors qui doivent être intégrés à l’histoire diplomatique et culturelle de l’Équateur.
Paris, décembre 1989.
INTRODUCTION
Sans que des recherches très poussées soient nécessaires, on peut trouver des pages curieuses et admirables en consultant un peu les feuilles jaunies ou les volumes poussiéreux des archives. Sans aller chercher les tomes reliés du XIXème siècle, les premières quinze années de notre siècle offre des documents dont il serait utile de se souvenir et dont les personnes s’intéressant à notre pays aimeraient prendre connaissance.
Avant tout, ils constituent la preuve évidente que les Missions diplomatiques ont par le passé effectué, comme elles l’effectuent aujourd’hui, un travail patriotique et discret extrêmement profitable, rarement mis en avant par les journalistes traquant la dernière information quotidienne.
A la fin de mes vacances, j’ai parcouru les quatre volumes conservant la correspondance officielle de Gonzalo Zaldumbide, Ministre plénipotentiaire de l’Équateur à Paris, entre les années 1923 et 1929 (1).
Evidemment, la plupart des communications font référence aux démarches quotidiennes, pénibles et sans transcendance, mais qu’une Mission diplomatique ne peut négliger, dans ses relations avec la Chancellerie du pays dans lequel elle est accréditée, avec les autres Missions, les interminables «particuliers et divers» qui occupent un bonne partie du temps et des inquiétudes d’un Chef de mission et de ses collaborateurs.
Dans le cas de Gonzalo Zaldumbide et au sujet de ses communications, aussi bien officielles que particulières, quelques-unes devront être revues et portées à la connaissance de l’historien, du biographe, pour revendiquer justement cette personnalité hors pair de la diplomatie et des lettres équatoriennes.
LE DIPLOMATE
Le 1er novembre 1923, Gonzalo Zaldumbide informe la Chancellerie équatorienne qu’il a pris ses fonctions d’Envoyé extraordinaire et de Ministre plénipotentiaire de l’Équateur devant le Gouvernement français.
Après la période agitée qui suivit le changement politique de 1895, dans les années 1910-11 en particulier, et qui se termina par le sanglant massacre du 28 janvier 1912, ou la Hoguera Bárbara (2), ce que rappelle un grand livre, l’Équateur connut des jours plus tranquilles après la deuxième administration du général Leonidas Plaza Gutierrez, de 1912 à 1916. De 1916 à 1920, le pays est gouverné par Alfredo Baquerizo Moreno, illustre homme de lois, civiliste lettré, écrivain notoire, respectueux des principes fondamentaux d’un État républicain. Son successeur, Luis Tamayo, qui gouverna de 1920 à 1924, était également un juriste distingué, avocat aux qualités rares et, avant tout, à l’honnêteté exemplaire et légendaire. C’est Luis Tamayo qui désigna Gonzalo Zaldumbide comme son représentant en qualité de Ministre plénipotentiaire en France.
Un autre Équatorien célèbre se trouvait à la tête du Ministère des Affaires Etrangères en 1923: N. Clemente Ponce, juriste et poète, diplomate et internationaliste, traducteur de Virgile, membre de l’Académie de la Langue, comme Alfredo Baquerizo Moreno, préoccupé par les grands problèmes philosophiques et linguistiques. En outre, le dignitaire originaire de Quito qu’était Ponce se dédia complètement «au culte de la patrie», comme le reconnurent également des personnes ne militant pas dans son parti politique.
Ce sont ces gouvernants remarquables de l’Équateur qui confièrent la Légation de Paris au jeune et déjà brillant écrivain originaire de Quito, Gonzalo Zaldumbide.
Dans des termes révélant un style fin et une charmante modestie, Gonzalo Zaldumbide écrit:
«Pour inaugurer ma correspondance officielle avec le Ministère, permettez-moi de réitérer au Gouvernement, et à vous en particulier, mes remerciements pour le grand honneur qui vous a fait me choisir sans autre titre en ma faveur que celui d’avoir consacré plusieurs années déjà au service diplomatique du pays, avec le dévouement exclusif et presque professionnel requis pour cette catégorie d’activité particulière» (3).
Dans les paragraphes qui suivent, quelques phrases révèlent la grande idée que Gonzalo Zaldumbide se faisait du Service Extérieur, du service pour son pays. Cette idée s’oppose à une opinion très courante d’une certaine indifférence, voire d’une négligence dans sa carrière diplomatique au profit de sa grande consécration aux lettres. Dans la note mentionnée, la première envoyée de Paris, on peut lire:
«Comme vous l’avez compris dans votre réforme bien pensée, l’expérience, si elle ne suppose pas toujours, comme elle ne suppose pas dans mon cas, de mérite personnel, est souvent une conseillère irremplaçable. Celle qui m’accompagne grâce à douze ans de savoir-faire, vous avez su la prendre en compte avec bonté. Mes efforts pour continuer à mériter la confiance qui m’a été accordée seront d’autant supérieurs que l’esprit actuel de cette Chancellerie le rend nécessaire: je me suis réjoui de voir que l’obstination intelligente et opportune démontrée par l’actuel Ministre a réussi à faire reconnaître aux Chambres la nécessité de soumettre à des normes définitives une préparation que nous laissions auparavant au hasard. Cette tentative, la plus sérieuse parmi les innombrables entreprises dans le pays, marque la naissance de la carrière diplomatique en Équateur, et ce sera un grand honneur pour l’administration de Monsieur Tamayo d’avoir rendu effective la volonté de sa Chancellerie» (4).
Certaines des phrases précédentes illustrent l’hommage mérité que Gonzalo Zaldumbide rend à l’administration de Luis Tamayo et surtout, au travail intelligent du Ministre des Affaires Etrangères, N. Clemente Ponce.
Cette première note permet également d’établir exactement les dates du terme de sa mission à Rome et du début de sa mission à Paris:
«Ma mission à Rome prenant fin avec l’arrivée de mon successeur le Général Treviño, je quittai cette capitale le 5 septembre, après avoir passé exactement un an dans cette Légation. J’eus le plaisir d’informer verbalement le nouveau Ministre, restant bien sûr à son service, pour tout besoin d’éclaircissement sur les affaires traitées» (5).
Dans la note n° 2, également datée du 1er novembre, Gonzalo Zaldumbide, informant qu’il a reçu l’accord présidentiel le désignant comme Envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire en Grande Bretagne, en résidence à Paris, insiste à nouveau sur ce sentiment profond de «ma dévotion au Service».
Dans cette communication, deux paragraphes illustrent parfaitement sa volonté de servir le pays. D’autre part, ils révèlent le réalisme qui l’animait dans le champ un peu abstrait des relations internationales. Il s’agit de la possibilité d’avoir une représentation diplomatique à Bruxelles et il justifie cette suggestion dans les termes suivants:
«Je profite de l’opportunité pour suggérer au Gouvernement qu’il conviendrait peut-être d’ajouter à cette double représentation (celle de Grande-Bretagne) la représentation de Belgique. Puisque des raisons économiques empêchent la création d’une Légation indépendante à Bruxelles, il serait opportun de charger le Ministre à Paris de la mission de nous représenter en Belgique, pays très intéressant par les possibilités qu’il offre, en matière de capitaux, d’industries, d’entreprises en tout genre et en particuliers, de chemins de fer, d’hommes d’initiative ou de capacité technique, qui se sentent à l’étroit dans ce petit royaume. Une activité telle que celle qui caractérise la nation belge déborde déjà considérablement en Amérique, surtout dans sa principale spécialité: les tramways et chemins de fer. La Belgique, comme tout petit pays, est plus sensible que les grands à l’honneur d’une représentation diplomatique; elle en mérite une assidue et diligente… Si le Gouvernement souhaite étendre mon rayon d’activités à ce champ d’intérêt pratique, je ne cesserai de m’efforcer de mettre en œuvre ma volonté de me rendre utile pour le progrès du pays» (6).
La note n° 3, du 3 novembre 1923, nous révèle d’autres préoccupations du nouveau Ministre plénipotentiaire de l’Équateur. Il a reçu le règlement «cahier d’instructions» pour une meilleure réalisation de ses nouvelles obligations en France, ce qui l’amène au commentaire ci-dessous, si loin de ses penchants, de sa vocation d’écrivain. Il entend donner, comme nous allons le voir, une attention particulière aux problèmes d’ordre économique et commercial. On peut lire:
«En ce qui concerne le traité commercial avec la France, comme c’est cette nation qui l’a dénoncé – simultanément avec la quasi-totalité des traités similaires, dans le but de les uniformiser, en les adaptant tous aux nouvelles conditions issues de la guerre – il semble plus naturel d’attendre que ce soit la France qui prenne l’initiative du nouveau traité, et de nous remettre en attendant à la tacite reconduction de l’ancien traité, lequel nous garantissait le traitement de la nation la plus favorisée…» (7).
Il en vient ensuite à commenter des détails de ces relations commerciales, se référant plus particulièrement à «des gestions initiées là-bas au motif de l’insuffisance et du non-respect de la mission d’aviation française»; à des problèmes de tarifs consulaires et aux réclamations des porteurs d’obligations du chemin de fer français (8). Désireux de donner à ces sujets l’importance due, il ajoute:
«Lorsque ce Ministère mettra en œuvre l’organisation de sa promotion comme il le projette, je veillerai à la meilleure diffusion des rapports et des données communiqués. Je vous serai reconnaissant de continuer à nous informer des diverses gestions menées par ce bureau. Ce contact avec le Ministre est apprécié à la mesure de la distance qui nous sépare» (9).
La note n° 4, également datée du 3 novembre, est un modèle pouvant servir à de nombreux fonctionnaires ayant connu et connaissant les mêmes problèmes. Après avoir rappelé dans deux télégrammes successifs «le manque d’ordre» dans le versement des salaires, il remercie la Chancellerie d’avoir traité sa demande. Toutefois, ce n’est pas l’essentiel. Préoccupé par le cadre de sa représentation, pour la bonne réputation de son pays, il doit s’occuper de la question de son logement. Ce détail lui permet d’exprimer ses idées pouvant être très instructives aujourd’hui encore pour les Chefs de Missions diplomatiques. Gonzalo Zaldumbide, qui avait sa résidence personnelle à Paris, consulte ainsi le Gouvernement pour savoir si les fonds pour une résidence officielle lui seront alloués. Il écrit:
«J’ai dû vous demander si le Gouvernement, de même qu’il paie dans d’autres capitales, depuis une date antérieure à la réforme en élaboration, était disposé, comme la réforme le détermine précisément, à payer la résidence de son représentant à Paris. Face à l’obligation de changer de logement pour des raisons de prestige, j’ai besoin de savoir si je dois le faire en recourant uniquement à mon salaire, ou si je vais bénéficier de la nouvelle loi. Dans le premier cas, le logement que je devrai choisir sera évidemment plus modeste que dans le second cas. Pour la bonne représentation extérieure – que les petits pays doivent entretenir avec davantage de soin, puisqu’elle est, faute de meilleure connaissance, l’un des signes déterminant l’idée de la majorité des gens – il conviendrait de souhaiter que l’Équateur se défasse de cette figure triste et déshéritée qu’elle a présentée jusqu’à aujourd’hui dans un milieu où les apparences décident de beaucoup de choses» (10).
Nous savons à quel point ces préoccupations matérielles liées à l’installation d’un Chef de Mission sont dérangeantes, et qu’elles se transforment en un véritable cauchemar lorsque l’on ne dispose pas de locaux propres, ce qui est le cas dans la majorité des pays. Souvent, c’est un facteur décidant de la réussite ou de l’échec de l’activité diplomatique. C’est ainsi que l’avait compris Gonzalo Zaldumbide, disposé à sacrifier ses aspirations personnelles, sa tranquillité bénéfique à son travail littéraire. Lisons les lignes suivantes:
«Si c’était seulement pour moi, je ne laisserais pas mon logement actuel, dans lequel mes habitudes trouvent un confort et une satisfaction suffisants. Si j’estime nécessaire de changer et de sacrifier le repos de mon indépendance en me préparant à un rôle social plein de compromis, c’est au bénéfice de la réputation de l’Équateur qui… ne doit pas rendre honteuse son attitude de parent pauvre» (11).
Vient ensuite un paragraphe très instructif sur la vie quotidienne de nos représentations diplomatiques:
«Vous permettrez évidemment, Monsieur le Ministre, que parmi les possibilités d’une solution satisfaisante, celle d’adjoindre les bureaux à la résidence particulière du Ministre soit exclue. Dans les cas où la colonie est petite et les tâches peu nombreuses, cette union est envisageable. Pas ici. Une habitude ancrée fait de la Légation en France le lieu de réunion le plus ouvert aux nombreux compatriotes qui considèrent, si l’on peut dire, ce morceau de patrie comme leur propre maison. Il est très bien qu’il en soit ainsi et que les bureaux soient complètement dissociés de la vie privée. Toutefois les installer dans la propre maison, c’est déposséder celle-ci de toute liberté, de toute faculté de sélection et priver le Ministre de toute liberté. L’actuel bureau de la Légation situé avenue de Wagram suffirait largement si 10 mille francs étaient accordés pour aménager une pièce supplémentaire, aujourd’hui inutilisable. En décidant de cet aménagement d’une pièce supplémentaire en ce qui concerne le logement du Ministre, le problème serait résolu de la manière la plus raisonnable et légitime» (12).
Grâce à la presse de l’époque et à divers témoignages – comme celui de Vasconcelos que je rappellerai ensuite – on sait que Gonzalo Zaldumbide donna à sa résidence à Paris un éclat exceptionnel, la transformant en un centre social et littéraire qui marqua la vie parisienne de l’époque.
L’ANALYSTE POLITIQUE
La lecture des notes et certaines des pages rédigées par le Ministre Gonzalo Zaldumbide il y a plus de cinquante ans surprend par la précision des idées et par l’actualité des remarques. L’une des principales priorités des représentations diplomatiques consiste à informer sur la politique interne, internationale du pays dans lequel elles sont accréditées. Ainsi, la note n° 7, du 10 novembre 1923, constitue un précieux témoignage de la manière dont Gonzalo Zaldumbide concevait cette obligation. Ses idées du devoir et de la qualité de l’information sont claires et il les résume en trois pages qui aujourd’hui encore peuvent servir de directives. Gonzalo Zaldumbide écrit:
«En reprenant la série de notes d’information générale que j’avais l’habitude de préparer en tant que Secrétaire de cette Délégation, permettez-moi de rappeler quelques-unes des observations qui viennent à l’esprit à ce sujet et que j’ai eu l’occasion de vous exposer plus amplement» (13).
Naturellement, vers 1923 les modalités de l’information n’étaient pas les mêmes qu’aux siècles précédents, elles étaient également bien différentes de celles du XIXème siècle. La modernisation des moyens de communication donnaient un aspect nouveau à ce problème:
«La distance qui nous sépare, le temps que la correspondance met à arriver, nuisent dans la majorité des cas à l’utilité de ces notes d’information politique. Leur actualité se dissipe en chemin, les prévisions qu’elles présentent sont souvent démenties par les faits survenus dans l’intervalle… la recherche journalistique a envahi tous les recoins et le télégramme dit tout: on sait l’après-midi ce qui s’est passé le matin aux antipodes. Le télégramme ne se limite pas à la transmission des informations, il les accompagne de commentaires et d’interprétations, de sorte qu’on peut affirmer qu’à Quito des échos de ce que disent un Lloyd George ou un Poincaré se répercutent le jour même où ces messieurs partagent la une de l’actualité universelle» (14).
L’essentiel pour Gonzalo Zaldumbide réside dans «le sens de certains faits d’importance durable», ceux qui se prêtent à «des éclaircissements ou des réflexions non dépourvus d’intérêt malgré la distance temporelle et spatiale» (15). Bien que les faits se référant à l’Équateur et même à l’Amérique ne soient pas très abondants, il est naturel pour un homme de sa qualité intellectuelle d’étendre l’information à tout problème d’une portée un peu plus locale ou épisodique. La remarque qui suit ne manque pas d’esprit et a aussi son actualité:
«Je n’ignore pas que, bien souvent, le désir d’information semble, et non sans fondement, un zèle de désœuvrés cherchant à démontrer qu’ils travaillent, et je comprends l’ironie raisonnable avec laquelle on excuse cette justification inoffensive d’un salaire bien gagné pour un poste bien desservi».
Et comment ne pas apprécier ces dernières lignes traduisant l’honnêteté intellectuelle, la sincérité de conduite de ce remarquable serviteur de l’Équateur:
«L’impartialité de mon information sera celle qui me dicte ma manière de voir. Ma sympathie pour la France relève du domaine de mes goûts personnels et littéraires. En politique interne ou internationale, je ne connais qu’un intérêt: l’intérêt patriote, l’intérêt hispano-américain, qui ne coïncident pas toujours avec le sens français de la civilisation et des relations internationales» (16).
Quelques jours seulement se sont écoulés depuis que le Ministre de l’Équateur a pris ses fonctions à Paris. Nous connaissons déjà un peu les sentiments qui l’animent et nous venons de voir quelles sont ses idées en ce qui concerne l’important chapitre de l’information. Celle-ci ne consiste pas seulement en l’énumération d’événements, en un bref résumé de faits plus ou moins liés à la politique intérieure et internationale du pays, déjà transmis et commentés par les moyens d’information modernes. Le plus important ce sont les opinions, le commentaire éclairé que le Chef de la Mission envoie pour instruire son gouvernement.
C’est exactement ce que l’on peut lire dans la note n° 8 du 11 novembre 1923, offrant comme une démonstration de la théorie qu’il avait exposée, l’idée qu’il se faisait de l’information. A peine dix jours après son installation, l’encre du célèbre Armistice de Versailles est encore fraîche. Gonzalo Zaldumbide remet une note avec un commentaire serein et perspicace sur ce qui se passe alors en France, en Europe. La lecture de ce rapport est une preuve convaincante de la vision exacte du diplomate équatorien, témoignant de sa profonde connaissance de l’histoire française, européenne ainsi que de la justesse de son jugement. Il commence par rappeler les circonstances dans lesquelles ont eu lieu la défaite allemande et la victoire alliée:
«La commémoration en cette date de l’armistice de 1918 convainc de façon plus unanime que c’était une erreur capitale de l’avoir conclu avant que le corps d’armée du Général Castelneau n’ait pénétré en Allemagne par le flanc droit, comme cela avait déjà été déterminé, ou avant de préparer la sécurité de la France de façon définitive» (17).
Suivent quelques réflexions sur l’état d’esprit de l’armée et du peuple allemand:
«L’État-major allemand, avant le plan français de fin de campagne, s’est incontestablement rendu à l’évidence du désastre ; mais le soldat, les troupes, le peuple, qui n’ont pas vu de leurs yeux, qui n’ont pas senti dans leur dos la défaite, seulement inscrite dans les plans et les lettres des chefs, n’ont pas appris la leçon d’humilité et de remords qui leur aurait été bénéfique pour ne plus penser à la guerre comme ils y pensent à tout moment de mille façons» (18).
Bien sûr, il n’est pas moins sévère avec les gouvernements et les chefs alliés qui n’ont pas su prévoir les conséquences:
«… Une nation comme l’Allemagne ne pourra s’admettre vaincue, même si elle l’était vraiment, qu’en employant contre elle les méthodes qu’elle avait elle-même préconisées. On oublie généralement ce que la France a souffert une fois vainqueur. La magnanimité mal comprise de l’armistice, l’idéologie wilsonienne d’un romantisme puritain si funeste et inopérant, firent croire que la victoire était incomplète et plus verbale que politique, doctrines de principes encore en formation, plus que l’application d’une méthode efficace pour des réalités concrètes… Le Président Wilson crut que l’Allemagne débarrassée de son Kaiser et de ses junkers se rendrait, heureuse et confiante, à la démocratie pacifiste. Mais il n’y a rien de moins démocratique que l’Allemagne» (19).
Ces réflexions le mènent à d’autres considérations d’ordre plus universel, dans lesquelles se reflète son esprit d’humaniste formé dans la culture gréco-latine, et dans la culture française en particulier:
«L’unité allemande fut l’idéal de l’ensemble de l’Europe libérale du siècle passé. L’unité est une idée latine, romaine, pas germanique, simplement adoptée par l’indestructible particularisme allemand. Le triomphe la consolida, le malheur la resserra au début, mais la misère attise à nouveau les égoïsmes et qui sait si la paix ne viendra pas de cet unique remède: la réapparition volontaire des trois Allemagne au lieu de l’empire bismarckien» (20).
L'exactitude des lignes suivantes démontre à quel point Gonzalo Zaldumbide avait réfléchi aux faits passés et présents, pour ainsi prévoir l’avenir:
«Aujourd’hui la paix est une guerre déguisée. Et la guerre à mort viendra dévaster l’Europe d’ici quelques années, pour peu que l’on permette la réhabilitation de l’Allemagne unie. Une Allemagne pacifique est un mythe, malheureusement… Au cours de la prochaine guerre de revanche, beaucoup plus de sang sera versé qu’en trois ou quatre jours supplémentaires de poursuite de la victoire jusqu’à la fin, jusqu’au désarmement moral de l’ennemi et à sa réduction à des idées plus pacifiques par la douleur bien sentie de sa responsabilité dans le malheur» (21).
Dans ce tableau lugubre dont nous connaissons le déroulement, et au-delà de ses prévisions, Gonzalo Zaldumbide ne perd pas de vue ses origines: le souvenir du lointain continent vient donner une teinte optimiste et lui dicte les mots de son rapport:
«Cependant, le monde ne retrouvera ni la tranquillité ni l’harmonie tant que dure l’actuel état d’anarchie d’un côté et de despotisme de l’autre, de pacifisme illusoire, aveugle, endormant chez les uns et de bellicisme vindicatif chez les autres. L’Europe fait penser avec davantage de foi et d’espoir à l’Amérique, où l’avenir n’est pas captif de ces terribles fatalités historiques» (22).
Témoin de l’affreux drame qui secoua l’humanité de 1939 à 1945, Gonzalo Zaldumbide ne dut s'empêcher de se rappeler que, plus d’une fois au cours des années précédentes, il avait déjà vu venir cet inévitable conflit dont il avait si lucidement analysé les causes dans ses communiqués depuis Paris.
LE REPRÉSENTANT CULTUREL
Comme on peut le remarquer, grâce au commentaire de ces quelques pages, la correspondance officielle de Gonzalo Zaldumbide, dès les premières semaines de son activité diplomatique à Paris, offre une variété et une qualité qu’il maintint durant toute la période 1923-1929 où il resta à la tête de cette Légation. Bien sûr, sa prose castillane brille encore dans ces pages officielles par une élégance qui n’a rien à voir avec le jargon traditionnel de ces documents. Avec quelle satisfaction les fonctionnaires de la Chancellerie – ces années-là – devaient recevoir ces communications et savourer, outre le contenu de fond, la forme qui distinguait le brillant styliste ! Il est vrai, d’autre part, que l’Équateur, comme d’autres pays hispano-américains, confia très souvent les tâches diplomatiques aux écrivains les plus importants de son histoire littéraire. Les noms de: Rubén Dario, Alfonso Reyes, García Calderón, Gabriela Mistral, Pablo Neruda, Miguel Angel Asturias, entre autres, sont là pour le prouver. En ce qui concerne l’Équateur, du poète Olmedo, dans les premières années de la République, à Benjamín Carrión, Gonzalo Escudero, Jorge Carrera Andrade, Jorge Icaza, Alfonso Barrera, au cours des dernières années, confirment une telle affirmation.
Rien d’étrange, donc, à ce que dans les volumes de sa correspondance officielle, Gonzalo Zaldumbide se soit d’abord préoccupé des thèmes nettement culturels et littéraires. De telles pages sont nombreuses, elles seules mériteraient une analyse particulière. Je me limiterai ici à un aspect marquant le séjour de Gonzalo Zaldumbide à la Légation de Paris. Je veux faire référence à ce que j’appellerai son «oeuvre montalvine».
Diverses circonstances sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici ont fait que le nom de Juan Montalvo résonnait encore dans toute sa splendeur parmi la génération d’écrivains hispano-américains résidant ces années-là à Paris; son prestige couvrait l’Équateur, sa patrie lointaine, d’une gloire inégalée. Dans ces circonstances, Gonzalo Zaldumbide, déjà reconnu comme un écrivain notoire, dans la force de ses quarante ans, en pleine possession de ses qualités d’intelligence, auxquelles s’ajoutaient celles de sa lignée, de sa fortune et même un goût exquis dans l’art de vivre, a vu sa résidence devenir un centre social et intellectuel où se côtoyait l’élégance parisienne la plus raffinée, comme le signale avec éclat la presse de ces années-là (23).
Maître de la langue, considéré depuis lors comme le meilleur épigone de Montalvo, aujourd’hui, plus de cinquante ans plus tard, on peut affirmer, avec de nombreuses raisons, que Montalvo et Zaldumbide représentent les deux figures de proue de la prose équatorienne de tous les temps.
Après avoir écrit des pages admirables sur Henri Barbusse, d’Annunzio, Rodo, Gonzalo Zaldumbide consacrera à Montalvo une étude inégalée. Admirateur inconditionnel de l’auteur des Catilinarias, du Cosmopolita, le Ministre à Paris dédia une grande partie de son activité culturelle à la diffusion de l’œuvre et à faire connaître l’illustre équatorien. Il est indiscutable que son activité montalvine et équatorienne fut et restera exemplaire. Dès 1925, préoccupé par la publication des œuvres de Juan Montalvo, par la maison d’édition Garnier, il couronne le travail du grand Cosmopolite et matérialise son admiration pour celui-ci en faisant apposer une plaque au numéro 26 de la rue Cardinet où il mourut, le 17 janvier 1889.
Dans le communiqué n° 185 du 29 mai 1925, il informe Quito qu’Unamuno a accepté d’écrire un prologue des Catilinarias. Il en remet une copie et l’accompagne du commentaire suivant:
«Il a accepté d’écrire ce texte magnifique auquel je fais référence, malgré sa résistance première, en raison des relations d’amitié particulières que nous entretenons. On remarque que, une fois le travail commencé, Unamuno y a mis non seulement son énorme talent, mais également une intensité extraordinaire, comme s’il s’était approprié la vie et l’œuvre de Montalvo…» (24).
Par le télégramme n° 83, du 19 juin 1925, il a informé que la plaque commémorative serait inaugurée le 27 du même mois. Dans sa note n° 187, du 22 juin, il poursuit en se référant au Comité qui a été formé:
«Essayant qu’il soit composé de personnalités largement connues où que ce soit et présentant, d’une certaine manière, un caractère de représentants des diverses valeurs ou entités intellectuelles, littéraires et diplomatiques. Ainsi : Unamuno représente la race et la langue espagnoles, le marquis de Peralta, doyen du corps diplomatique les nations de l’Amérique latine en France, … et les autres membres distingués, l’Académie, l’Université, le Parlement et la presse française» (25).
Effectivement, il suffit de lire la liste des orateurs et des personnalités qui participèrent à cette cérémonie et à la réception qui suivit à la Légation, pour apprécier la qualité exceptionnelle d’un événement qui marqua les jours parisiens de cette année-là, comme on peut le lire dans les commentaires de différents journaux et revues de l’époque.
Il convient de souligner un détail: lorsqu’il annonce qu’il donnera ce jour-là une réception diplomatique et mondaine, le Ministre Zaldumbide demande au Gouvernement la somme de 120 dollars. Nous verrons ensuite à quoi cette somme était destinée.
Dans un communiqué très élégant, le 24 juin, il prévient le propriétaire du 26 rue Cardinet que:
«…La Légation se préoccupant pour honorer la mémoire de Monsieur Montalvo, une plaque commémorative sera apposée le samedi 27 au matin et l’inauguration aura lieu le 29 juin. Je vous confirme que la Légation prendra en charge l’entretien complet de cette plaque et que rien ne sera demandé au propriétaire de l’immeuble…» (26).
Par le télégramme n° 86, du 6 juillet, il informe la Chancellerie de l’inauguration de la plaque commémorative et de la réception diplomatique et mondaine réalisée à la résidence du Ministre. Et par l’intermédiaire de la note n° 196, datée du 8 du même mois, il développe ce même sujet sur cinq pages qui devraient avoir leur place dans la bibliographie montalvine. Gonzalo Zaldumbide écrit:
«Je vais décrire plus en détail la cérémonie de l'apposition de la plaque commémorative sur la maison où est mort Juan Montalvo parce que, outre le fait qu’elle traduit un juste hommage à notre grand auteur, elle a un sens flatteur pour le sentiment équatorien.
À Paris, en raison de la taille de la ville, il est difficile d’attirer l’attention du public, car les différents groupes sociaux n’ont que trop d’événements pour s’occuper ou s’enthousiasmer. Ainsi, de nombreux noms, hommages, fêtes et publications passent inaperçus. Le peuple français compte tellement de concitoyens et de choses auxquels s’intéresser qu'il privilégie les actualités nationales ou liées à l’intérêt de la nation. De plus, en raison des circonstances, l’attention de la société et de la presse françaises est complètement absorbée par les événements financiers et internationaux actuels.
Pour cette raison il est très difficile pour nos pays, méconnaissant les impératifs pressants du jour, d’effectuer une publicité efficace, malgré tous nos efforts à l’intérieur de nos frontières. Ainsi, la majorité des événements sud-américains passent presque inaperçus sur le plan politique ou n’intéressent que les noyaux sud-américains, et n’obtiennent qu’une faible diffusion dans la presse.
En outre, c’est avec réticence que la presse française ouvre ses colonnes. Publier un article dans un journal n’a rien à voir avec la facilité par laquelle nous menons à bien quotidiennement ce type d’opération. Et la difficulté n’est pas l’apanage des étrangers.
Par ailleurs, même si la cérémonie en question avait pour but de glorifier un grand homme de lettres, sa portée a dépassé le cadre littéraire.
Grâce au rang atteint par Montalvo dans le monde de langue hispanique et à l’admiration ressentie pour lui par quelques hispanisants français; et peut-être également grâce à certaines relations que j’ai établies avec la presse, la société et les écrivains de cette république, il a été possible de donner à l’hommage en question une importance qui, je puis sincèrement le déclarer, a intéressé un large public, non seulement en rappelant le nom de notre génial polémiste, mais également en faisant parler de notre pays, doté de ses lois si libérales et présentant un avenir prometteur.
Le simple fait que le nom de «République de l’Équateur» apparaisse en tant que pays capable d'engendrer un homme de l’envergure de Montalvo, constitue déjà une bonne publicité pour les milliers d’individus qui liront cette inscription tous les jours.
Il convient en outre de rappeler que Montalvo est le premier sud-américain à recevoir cette distinction ici.
Je vous envoie, accompagnant la présente note, les coupures des principaux journaux publiés à Paris. Les cent journaux liés à l’Association de la presse latine et tous les journaux émanant des quatre agences télégraphiques siégeant à Paris ont également publié des articles relatifs à la cérémonie.
La liste prestigieuse des invités a également grandement contribué à la réussite de mon projet. L’énumération de ceux-ci suffit à prouver qu’il s’agit de personnalités connues en Europe et en Amérique.
Ainsi Richepin est notamment un éminent exposant, respecté par ce peuple et admiré; Unamuno, aujourd’hui plus glorieux que jamais, est un symbole de la pensée, de la noblesse et de la ténacité de la race. J’aimerais consigner ici mes commentaires au sujet de l’émotion ressentie par les participants lors de l’inauguration de la plaque par le maître de Salamanque, lorsqu’il a prononcé son discours avec ferveur et conviction, rappelant l’histoire d’un autre exilé, comme s’il parlait de sa propre histoire.
Parmi les discours dont je donne la liste dans le télégramme, il convient de souligner la valeur particulière de celle du Secrétaire de la municipalité de Paris, selon lequel cette ville se sentait fière d’accueillir dans la capitale la plaque perpétuant la mémoire d’un notable équatorien amoureux de la France.
Ont assisté à la cérémonie la quasi-totalité du corps diplomatique américain, de la communauté équatorienne et de nombreux membres des autres communautés latino-américaines, des personnalités françaises, parmi lesquelles le représentant du Ministère des Affaires Etrangères et de nombreux écrivains et professeurs.
La plaque de marbre posée sur la maison N° 26 DE LA RUE Cardinet – devenue aujourd’hui inoubliable pour les Équatoriens – porte l’inscription suivante: JUAN MONTALVO NÉ À AMBATO (ÉQUATEUR) LE 13 AVRIL 1832, MORT À PARIS LE 17 JANVIER 1889, POLÉMISTE, ESSAYISTE, PENSEUR, MAÎTRE INSIGNE DE LA PROSE ESPAGNOLE, CHOISIT LA FRANCE, SON PAYS D’ÉLECTION, POUR Y FINIR SES JOURS, ET MOURUT DANS CETTE MAISON.
À l’issue de la cérémonie, ma résidence a accueilli la réception. J’avais invité plus de cinq cents personnes, parmi lesquelles toutes les personnalités officielles et diplomatiques à qui il convenait de réserver cette attention. Je me suis vu largement récompensé par la présence de plus de quatre cent convives. La réception mondaine, d’une convivialité notoire, a été particulièrement satisfaisante et à ce que je me souvienne, peu de fêtes organisées ici par les Ambassades ou les Légations des plus grands pays ont réussi à réunir une assistance aussi nombreuse et aussi prestigieuse.
À juste titre, un des journaux de Paris a ainsi parlé de cet événement de la Légation de l’Équateur comme une fête de l’amitié latine.
La communauté équatorienne, qui avait été invitée dans son ensemble, m’a fait l’honneur de participer dans sa quasi-totalité…» (27).
Un communiqué d’une telle importance s’achève par ces lignes qui sembleront prosaïques, mais qui révèlent l’homme d’une profonde délicatesse, le fonctionnaire hautement responsable:
«En ce qui concerne l’indemnité de cent vingt dollars, je crois qu’il est de mon devoir de vous informer que je l’ai dépensée uniquement dans une partie du buffet. Pour ma part j’ai eu l’honneur de payer, à titre personnel, la plaque, les invitations, et les frais courants nécessaires pour couvrir les services de presse, ainsi que le champagne. J’ai également le plaisir de vous faire parvenir quelques photographies prises au cours de la cérémonie» (28).
A une autre reprise, Gonzalo Zaldumbide fait référence à cet inoubliable événement. C’est le 6 août 1925, dans la note n° 203, accompagnant un exemplaire de la Revue de l’Amérique latine, dans lequel sont publiés les discours prononcés le jour de la pose de la plaque, ainsi qu’une magnifique traduction de quelques pages de Montalvo et un fragment d’une superbe étude de Rodó.
Pensant peut-être qu’à Quito la brièveté de certains discours attirerait l’attention, il ajoute l’explication suivante:
«Il convient, me semble-t-il, d’indiquer à Monsieur le Ministre que les discours furent si courts car, la cérémonie devant se tenir dans la rue Cardinet et devant la maison où devait être posé le marbre, la police accorda seulement quinze minutes pour l’interruption du trafic conformément aux règlements en vigueur. En outre, le lieu où la cérémonie allait avoir lieu ne se prêtait pas à la prolonger très longtemps…» (29).
Dans ce même communiqué, avec la délicatesse qui caractérisa ses actes durant toute sa vie, il mentionne à nouveau l’argent qu’il a reçu pour la cérémonie. Ce texte est un modèle de simplicité, mais pour ceux qui connaissent de près la réalité de nos bureaux diplomatiques, il est très révélateur de tant d’angoisses qu’ont à plusieurs reprises connues de nombreux Chefs de Mission, même ceux dotés d’un «pécule personnel».
«La collaboration de cent vingt dollars que j’ai demandée pour la réception le jour de la pose de la plaque fut destinée à couvrir seulement une partie du buffet. Ainsi, j’ai le plaisir de vous envoyer l’addition qui accrédite mon affirmation; bien, les cent vingt dollars représentant, avec le taux de change élevé de vingt et un francs, seulement deux mille cinq cents francs. Permettez-moi, Monsieur le Ministre, d’insister sur ce point, parce que je veux faire remarquer qu’une réception de l’amplitude de celle que j’ai organisée, ne pouvait pas s’effectuer avec une si petite somme, j’ai ainsi eu le plaisir de couvrir avec mon salaire la majorité des frais, tels que ceux relatifs à la plaque de marbre, à sa gravure, à sa pose, ainsi qu’aux invitations, aux fleurs, au champagne et au service…» (30).
J’ai eu l’occasion de lire à la Bibliothèque Nationale de Paris la revue à laquelle fait référence Gonzalo Zaldumbide et les commentaires de la presse parisienne au sujet de la cérémonie du 29 juin 1925, ainsi qu’aux autres activités de l’illustre écrivain et diplomate équatorien. A juste titre, Vasconcelos, très bien informé de la brillante représentation de son compatriote et de ce qui se passait dans la capitale française ces années-là, écrivait: «Alfonso Reyes soutenait la Légation mexicaine avec moins de luxe que Gonzalo Zaldumbide soutenait la sienne, mais avec autant d’éclat» (31).
J’ai longuement fait référence au chapitre des relations franco-latino-américaines en commentant la publication, fin 1978, du livre de Paulette Patout, professeur à l’université de Toulouse, d’une qualité exceptionnelle. Le livre a pour titre: Alfonso Reyes et la France, ou les relations de cet écrivain et diplomate mexicain avec la France et les Français. En outre, ce livre constitue également une précieuse présentation de ce groupe d’écrivains latino-américains qui résidèrent à Paris avant ou après la première guerre mondiale, en particulier au cours de la décennie 1920-30, lorsqu’Alfonso Reyes, laissant ses fonctions de Ministre plénipotentiaire à Madrid, vint exercer des fonctions analogues à Paris. Parmi tous ces noms, tous profondément liés à la culture française, aux côtés de l’illustre mexicain, nous citerons : Gabriel Mistral, German Arciniegas, le franco-uruguayen Jules Supervielle, le franco-argentin Max Daireaux, Miguel Angel Asturias, C. Parra Pérez, Alberto Zerega Fombona, les équatoriens Alfredo Gangotena, Benjamín Carrión… qui succédèrent à la génération d’Amado Nervo, Alcides Arguedas, Enrique Larreta, Enrique Gómez Carrillo, les frères Francisco et Ventura García Calderón, etc. (32).
Dans ce chapitre exceptionnel concernant les relations d’Alfonso Reyes, Paulette Patout met en avant le nom de Gonzalo Zaldumbide:
«Parmi les latino-américains que Reyes rencontra à Paris, l’un de ses meilleurs amis fut Gonzalo Zaldumbide, grand représentant de l’élite américaine. Naturellement Gonzalo Zaldumbide était une figure éminente de cette colonie américaine et il fut, peut-être, l’ami de prédilection d’Alfonso Reyes. C’est pour cette raison que j’ai réservé à Gonzalo Zaldumbide de nombreuses pages de mon étude, je crois de que ce sont les premières lignes consacrées par la critique française à cette grande personnalité des lettres équatoriennes et à son œuvre d’écrivain et de diplomate en France…» (33).
En effet, jusqu’à aujourd’hui très peu de choses ont été écrites sur le travail réalisé à Paris par Gonzalo Zaldumbide. Son activité en tant que diplomate, écrivain et diffuseur de tout ce qui pouvait grandir l’Équateur est presque tombée dans l’oubli. J’ai vu avec satisfaction que Paulette Patout s’est référée à des documents de ces années 20-30 exaltant la personnalité de notre compatriote. J’ai pu moi aussi réunir certains de ces documents et les proposer à une nouvelle lecture. Aux pages 194 et suivantes du livre Juan Montalvo en Paris (34), j’ai rappelé l’immense œuvre montalvine de Gonzalo Zaldumbide; dans le numéro 9 de la revue Equateur (décembre 1969), j’ai reproduit un magnifique article, en français, de Gonzalo Zaldumbide sur Remigio Crespo Toral, important poète de notre littérature (35) ***.
Tant de belles pages dans les quatre volumes de la correspondance du Ministre plénipotentiaire, tant d’articles comme celui que je signale ci-dessus attendent d’être un jour dépoussiérés, sortis de l’oubli et intégrés au trésor de la culture, aux lettres équatoriennes! Il s’agit peut-être de l’une des tâches les plus urgentes et les plus nobles que devraient assumer les organismes responsables de la culture nationale: la Chancellerie équatorienne, le Ministère de l’Education et de la Culture, la Maison de la Culture équatorienne…
L’histoire d’un pays n’est pas que l’entassement de dates de batailles, de guerres fratricides, de combats politiques, de la succession de gouvernants plus ou moins dignes de souvenir. L’histoire est, avant tout, cette impulsion créatrice d’un peuple qui s’exprime à travers ses penseurs, ses artistes, les forgerons de sa culture… Et celle-ci selon Jean Guéhenno, n’est qu’une «manière d’être l’individu fait de curiosité et d’ascèse, en vue de développer sa personnalité et d’être présent dans la société de son temps».
NOTES:
(1) Quatre volumes reliés (0,32*0,22): volume I 1923-1925; II id. 1926; III id. 1927: IV id. 1928-1929.
(2) Alfredo Pareja Diezcanseco, La Hoguera Bárbara (vida de Eloy Alfaro), 1944.
(3) Volume I, p. 1.
(4) Id., p. 2.
(5) Ibidem.
(6) Id., pp. 4-5.
(7) Id., pp. 7-8.
(8) Id., p. 8.
(9) Volume I, p. 9.
(10) Id., pp. 11-12.
(11) Id., pp. 12-13.
(12) Id., p. 14.
(13) Id., p. 17.
(14) Id., pp. 17-18.
(15) Id., p. 19.
(16) Ibidem.
(17) Id., p. 21.
(18) Ibidem.
(19) Id., pp. 22-23.
(20) id., pp. 23-24.
(21) Id., p. 24.
(22) Id., p. 24.
(23) Entre autres: «Revue de l’Amérique latine», «The Paris Times», «L’Action latine», «Paris-Sud», «La Vie latine», etc.
(24) Volume I, p. 679.
(25) Id., pp. 709-710.
(26) Id., p. 713.
(27) Id., pp. 736-740.
(28) Id., p. 740.
(29) Id., pp. 781-782.
(30) Id., p. 782.
(31) Paulette Patout, Alfonso Reyes et la France, 1978, p. 263.
(32) Ob. Cit.
(33) Ob. Cit. p. 267 et lettre personnelle.
(34) Juan Montalvo en Paris, procès verbaux du colloque de Besançon, les Belles Lettres, Paris, 1976.
(35) «L’Équateur vous attend». (9) novembre-décembre, 1969, pp 4-5.
*** Finalement, aussi bien dans mon livre Juan Montalvo en París (tomes I et II. Subsecretaría de Cultura e Ilustre Municipio de Ambato; 1981) que dans Este otro Montalvo (Abya-Yala y Casa Montalvo: 1996) de Claude Lara Brozzesi, la figure de Gonzalo Zaldumbide et son oeuvre montalvine considérable, laquelle n’a pas été égalée jusqu’à ce jour, sont tout particulièrement mis en avant.
** (Traduction Emilie Barberet et Claude Lara)
INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES:
- Hommage à Juan Montalvo, l’historique d’une action diplomatique
- Ecuador y Francia: una historia en común
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