domingo, 3 de abril de 2011

Le Concept d'Andes Septentrionales en Archéologie


[Traduction de l'original en espagnol (Équateur) par Émilie Barberet]

INTRODUCTION

Les concepts culturels utilisés en archéologie sont des outils fondamentaux dans le cadre du processus de recherche. C’est notamment le cas de la notion « d’Andes septentrionales » en Équateur. Ainsi, le présent article cherchera à retracer ses origines, son évolution et ses caractéristiques en vue d’une meilleure compréhension du concept et de définir les diverses perspectives que celui-ci implique.

En tant que concept culturel principalement défini par des variables chronologiques et géographiques, le terme « Andes septentrionales », tel qu’il est actuellement connu en archéologie, dérive de deux tendances théoriques essentielles : le diffusionnisme et l’écologie culturelle. Après un bref rappel des postulats de base de ces deux courants, nous présenterons leur application dans le cas des Andes septentrionales, en relation avec un autre concept fondamental, celui de « zone intermédiaire » (« Área intermedia » en espagnol).

DIFFUSIONNISME ET ÉCOLOGIE CULTURELLE

Héritage de la tradition ethnographique et muséographique nord-américaine du début du XXème siècle (Wissler, Kroeber), le diffusionnisme étudie la « distribution géographique de caractéristiques culturelles » (Rivière, 2002 : 33), qu’il regroupe par « zones culturelles », en fonction de critères spatiaux et chronologiques spécifiques extraits au moyen d’une méthodologie principalement descriptive.

La « zone culturelle » correspond au « territoire à l’intérieur duquel se trouve un ensemble "d’éléments culturels" dont la récurrence établit une sorte de modèle de définition de la zone et permet de préciser son périmètre ou ses limites (…) (Lumbreras, 1981 : 15) ».

Selon Graebner et Kroeber, la zone culturelle se divise en une série de complexes culturels partageant des caractéristiques similaires, issues d’un centre originel (tradition culturelle principale selon Willey), à partir duquel celles-ci se diffusent vers des zones culturelles périphériques (Rivière, 2002 : 34, ndt). Willey divise avec plus de précision les zones culturelles en sous-zones, délimitées en régions, composées de localités et de sites (Willey, 1971 : 3). La définition des phases culturelles est un autre outil permettant la définition des séquences géographiques.

À partir de l’étude de ce mouvement de diffusion fondé sur des similitudes et des différences entre caractéristiques culturelles appartenant à des domaines communs (objets et institutions), le chercheur est en mesure de reconstruire une histoire culturelle de la zone en question (Rivière, 2002 : 34, ndt).

(…) la manière d’identifier une zone culturelle consiste, ainsi, à faire des listes d’éléments culturels et à étudier leur distribution spatiale. Cette méthode permet, par conséquent, de configurer des centres ou des zones « nucléaires », « des périphéries », et des « zones intermédiaires », conformément au degré de cohésion des éléments récurrents ou conformément au degré de parenté dans la zone voisine (Lumbreras, 1981 : 13).

Ainsi, l’étude d’une zone culturelle selon un espace défini géographiquement et chronologiquement requiert la comparaison avec d’autres zones du même type desquelles ladite zone se distingue nettement. Dans ce sens, il s’agit d’une notion liée aux « totalités culturelles » (“cultura wholes”) (Larrain, n/d : 34).

De façon plus spécifique, en archéologie, la zone culturelle ne nécessite pas obligatoirement une homogénéité écologique, étant donné qu’il s’agit d’espaces où ont lieu des contacts culturels entre des milieux naturels distincts. Dans ce sens, leurs limites géographiques sont diffuses, et leur chronologie ne requiert pas toujours de caractéristiques ou d’horizons stylistiques communs (Lange, 2004 : 31-32).

Par la suite, Childe introduit des perspectives nouvelles en ce qui concerne la définition de l’objet d’étude archéologique : s’éloignant des considérations de teinte évolutionniste qui avaient jusqu’alors caractérisé la pensée anthropologique en général, Childe évoque la nécessité de localiser, -dans la mesure du possible-, les diverses cultures anciennes à partir du registre matériel, qui servirait ensuite de base pour la recherche sur les origines, les modèles d’adaptation et d’échange entre les cultures en question (Trigger, 1989 : 172). Ainsi, l’influence marxiste de Childe introduit en archéologie une préoccupation de plus en plus forte par rapport à la base matérielle et, plus précisément, au milieu et à la dynamique dans lesquels se développe une culture. Ces influences deviendront le principal centre d’attention d’un autre grand courant anthropologique : l’écologie culturelle.

Après s’être concentrée sur la recherche de caractéristiques culturelles tel que le prescrivait le paradigme évolutionniste, l’archéologie marquée par l’influence écologico-culturelle se centrera sur l’identification de cultures en tant que produits de milieux naturels spécifiques. Certes, l’écologie culturelle reprendra des éléments contemplés auparavant par l’évolutionnisme, le diffusionnisme et le marxisme entre autres, en mettant cependant l’accent sur le rôle de la variable écologique dans les processus culturels de formation. Par exemple, pour Steward, l’un des principaux représentants de cette tendance, « les potentiels culturels sont fonction de l’écologie locale, c’est-à-dire de l’interaction du milieu, des moyens d’exploration, et des coutumes socio-économiques (Steward, 1963 : 674).

De manière générale, l’écologie culturelle se distingue par la recherche de types culturels, que l’on pense exprimés à travers des critères socio-politiques et religieux, définis par la relation entre la technologie et la gestion du milieu.
Dans sa classification de types culturels, Steward prend en compte quatre paramètres : la base écologique, les modèles socio-politiques et religieux (diversité de statut), la religion et le chamanisme, la culture technologique et le matériel (travail des métaux, céramique, tissages, etc.) (idem : 717).

Troll quant à lui représente une vision particulière de l’écologie culturelle : l’écologie du paysage. Pour lui, le paysage est un système qui se distribue entre le monde biotique, le monde vivant et le monde humain. Dans ce sens, l’écologie est une relation entre les êtres vivants et leurs milieux ; pour comprendre le paysage culturel, il est d’abord nécessaire de comprendre le paysage naturel.

L’évolution de la théorie relative aux processus de compréhension des cultures en archéologie a vu apparaître et disparaître des dénominations chronologiques, géographiques ou culturelles en fonction des différentes cultures du continent américain. Tel est le cas du concept « d’Andes septentrionales ». Il semble qu’il s’agisse d’un terme typologique récent, d’abord limité à l’intérieur de la « zone intermédiaire » (en tant qu’ensemble sous-andin), et ensuite, à l’intérieur de la zone andine. Comme nous le verrons, cette évolution a eu lieu grâce à une meilleure connaissance du registre et à l’apport des diverses propositions culturalistes. En outre, cela n’a pas signifié l’abandon des points d’intérêts antérieurs, mais au contraire leur enrichissement et leur affinement. Ainsi, la proposition de « zone intermédiaire » est née d’une préoccupation plutôt diffusionniste. Quant à la proposition « d’Andes septentrionales », elle a coïncidé avec des préoccupations d’ordre écologico-culturel, les deux notions ayant été développées autant par le diffusionnisme que par l’écologie naturelle.

LA ZONE INTERMÉDIAIRE : UN CONCEPT ISSU DU DIFFUSIONNISME

En 1948, Kroeber observe qu’entre les zones du Mexique et du Pérou, il existait peu de richesse et d’urbanisme, c’est-à-dire peu de civilisation. En fait, jusqu’alors, la région en question n’avait pas été beaucoup étudiée (Lippi et Gudiño, 2004 : 16). Il était admis que les groupes sociaux vivant entre le Mexique et le Pérou étaient moins développés et se caractérisaient par des caciquats complexes dérivés des influences culturelles de Mésoamérique et des Andes centrales (Lange, 2004 : 30 ; Lippi et Gudiño, 2004 : 17 ; Willey, 1971 : 255). Cette zone a été dénommée « zone intermédiaire » et a principalement été définie par l’archéologue Gordon Willey.

Le territoire de la zone intermédiaire comprend les Andes équatoriennes et la côte Pacifique, la côte caraïbe colombienne, les Andes du sud du Venezuela et la côte vénézuélienne adjacente, ainsi que toute la basse Amérique centrale jusqu’à la ligne qui s’étend du Golfe de Nicoya au centre de la côte caraïbe septentrionale du Honduras (Willey, 1971 : 254).

Reprenant le principe de « totalités culturelles », Rouse signale en 1962 que la zone intermédiaire se distingue de sa voisine circum-caraïbe par la culture du maïs et la production de métaux. Dans les deux cas, on note cependant l’absence de sociétés étatiques, d’horizons culturels étendus et de séquences chronologiques prolongées (Curet, 2004 : 90).

De façon générale, Willey caractérise la zone intermédiaire comme un cercle culturel défini par douze critères basique de classification : la présence de maïs et de manioc, de petites unités socio-politiques et résidentielles, de localités ou de centres de cérémonies, de pratiques mortuaires socialement différenciées, de céramiques dérivées de la tradition potière précéramique précoce, de la métallurgie (Willey, 1971 : 277), du travail de la pierre (en particulier pour des monuments ou des outils variés), de technologies semblables malgré la diversité des horizons stylistiques et enfin, d’une affiliation lingüistique commune dérivée des familles chibcha, paeza et macro-chibcha (idem: 278).

En ce qui concerne la chronologie – autre caractéristique fondamentale de l’analyse de type diffusionniste – les académies de chacun des pays existant actuellement dans cette zone définissent des séquences distinctes pour leurs cultures précolombiennes. Cependant, Willey englobe l’ensemble de la zone dans une périodisation divisée en période précéramique, période formative, période du développement régional et période d’intégration.

La période précéramique se divise en cinq phases : le Précéramique I (plus de 10 000 ans avant JC), caractérisé par les objets taillés, les haches ; le Précéramique II (10 000 - 9 000 avant JC) marque pour sa part l’apparition d’une tradition biface andine ; le Précéramique III (9 000 - 7 000 avant JC), représenté par les pointes queue de poisson, développées par des sociétés de chasseurs-cueilleurs ; le Précéramique IV (7 000 - 5 000 avant JC), où prédominent les pointes lancéolées et le Précéramique V (5 000 - 3 000 avant JC), majoritaire sur le littoral nord-ouest d’Amérique du sud (Willey, 1971 : 255).
Parmi les sites représentatifs de cette période, on trouve Las Vegas (Willey 1971 : 162), San Nicolás (Colombie) et Cerro Mangote, au Panama (idem : 263).

La période formative de Willey se compose d’une période céramique précoce (3 000 avant JC - 1 500 avant JC), correspondant à la période formative précoce de Meggers, ainsi qu’à la période formative (1 500 avant JC - 500 avant JC) en tant que telle, au cours de laquelle apparaît la tradition de la « zone intermédiaire », caractérisée par le développement de l’agriculture (Willey, 1971 : 259).
Cette séquence se caractérise par des phases céramiques propres au littoral, telle que Valdivia en Équateur, Puerto Hormiga (idem : 268), Canapote, Barlovento et San Jacinto en Colombie et dans les Caraïbes, Rancho Peludo au Venezuela (idem : 273). De façon générale, ces cultures se sont caractérisées par un mode de subsistance fondé sur la pêche, la cueillette et l’horticulture (Willey, 1971 : 275). Leur origine est source de débat, tel que le souligne Willey lorsqu’il fait référence à la « théorie Jomon » proposée par Meggers sur la provenance de Valdivia (idem : 277). Cette période correspond plus ou moins « aux » développements régionaux de Lumbreras, caractérisés par une maîtrise notable du milieu et de technologies telles que la métallurgie (Lumbreras, 1981 : 64).

À l’instar de Meggers, Willey définit ensuite une période de développement régional (500 avant JC - 500 après JC) caractérisée par une éclosion artistique et technologique formée dans la multiplication des styles (Willey, 1971 : 260).

Vient enfin la période tardive ou d’intégration (500 – 1 550 après JC), au cours de laquelle ont prédominé les unifications politiques et les fusions culturelles, en particulier dans le sud de la Colombie (idem : 261).
En Équateur, ces deux dernières périodes sont principalement représentées par les cultures Jambelí, Tejar Daule, Bahía, Jama-Coaque, Tolita d’une part, et d’autre part Manteño, Milagro, Atacames sur la côte, alors que dans la Sierra, se distinguent les Cañaris, les Puruháes et les Caras (idem : 289-304).
En Colombie, apparaissent les cultures des vallées de Nariño et de Cauca, de San Agustín et de Tierradentro en amont du fleuve Magdalena, les cultures Chibcha et Tairona entre les plus connues (Willey, 1971 : 308-324).

LES ANDES SEPTENTRIONALES ET L’ÉCOLOGIE CULTURELLE

Steward figure parmi les principaux représentants de la tendance écologico-culturelle dans les études latino-américaines. Dans son impressionnant Handbook of South-American Indians, il définit trois types culturels relatifs au cas sud-américain en particulier : le type andin (le plus complexe de la zone), suivi du cercle circum-caraïbe et le type de forêt tropicale (le plus « marginal » des trois) (Lippi et Gudiño, 2004 : 16).

Dans le type andin, Steward introduit la dénomination « d’Andes septentrionales », utilisée pour différencier certaines tribus d’Équateur et de Colombie d’autres peuples circum-caraïbes, en raison de la présence d’éléments culturels originaires des Andes centrales (Steward, 1963 : 715).

De façon générale, les cultures désignées à l’intérieur de ce groupe se caractérisent par un mode de vie principalement fondé sur l’agriculture et la pêche, par une population relativement dense, répartie selon un modèle de colonie diffus et de type sédentaire, ainsi que par une culture matérielle diverse et sophistiquée (Steward, n/d : 716).

Troll développe cette distinction en établissant une différenciation de type écologique entre les cultures des Andes du páramo et celles de la puna :

Il en découle que parmi les peuples indigènes civilisés et semi-civilisés ayant habité l’espace compris entre la mer des Caraïbes, le nord du Chili et le nord-ouest de l’Argentine, il convient de distinguer deux provinces culturelles qui correspondent aux espaces vitaux, naturels des Andes du páramo et les Andes de la puna, parmi lesquelles l’aire septentrionale comprend les peuples semi-civilisés des Andes équatoriennes, colombiennes et vénézuéliennes, tandis que l’aire méridionale, la sphère culturelle péruvienne, comprend les hautes cultures définies, situées entre la côte du Pérou et le nord-ouest de l’Argentine. Dans un certain sens, les conquêtes de la culture des terres dans les Andes constituent des formes d’adaptation à l’espace vital, particulier, de cette région : ils sont liés écologico-culturellement. Néanmoins, nous ne voulons pas donner l’impression de prétendre expliquer le devenir des cultures en tant que telles à partir de cette observation. Nous nous contentons de signaler certaines stimulations et certaines possibilités que la nature a offert aux peuples, -et qui ont été utilisées par ces-derniers avec habileté et succès-, ainsi que les limites que la nature a imposées à l’expansion des cultures (Troll, 1958 : 45).

Par la suite, Lumbreras justifiera l’existence des Andes septentrionales à partir de son concept de zone culturelle andine qui, selon lui, se caractérise fondamentalement par la dynamique mer/cordillère/forêt tropicale (Lumbreras, 1971 : 17). Cette proposition marque une différence fondamentale avec le diffusionnisme de la zone intermédiaire, puisqu’elle implique une reconnaissance des « terres basses » amazoniennes à l’intérieur du monde andin, alors que Willey les intégrait dans sa catégorie Caraïbes et Amazonie (1971 : 360).

Ainsi, Lumbreras divise la zone intermédiaire en deux régions : la zone circum-caraïbe ou extrême nord d’une part, et les Andes septentrionales d’autre part (Lumbreras, 1981 : 17).

« L’extrême nord » se compose de « la partie sud de l’Amérique centrale, depuis le Nicaragua (et une partie du Honduras), le Panama, la Colombie (à l’exception de Nariño et Tumaco), le Venezuela, les Guyanes et toutes les Caraïbes ». Peut-on utiliser le terme andin dans ce cas ? Lumbreras remarque qu’il s’agit d’un point problématique, puisque la présence de produits andins probablement arrivés par échange, permet de suggérer avec certitude une forte influence andine (idem : 41, 45).

En ce qui concerne les Andes septentrionales, celles-ci comprennent « le sud de la Colombie, l’ensemble de l’Équateur et l’extrême nord du Pérou, la limite étant le désert de Sechura, les montagnes d’Ayabaca et de Huancabamba à Piura, avec de probables extensions précoces vers le sud ». Ce milieu se caractérise par de forts contrastes climatiques marqués aussi bien sur sa côte tropicale, fortement touchée par les courants de El Niño, que dans la Sierra humide et son milieu subtropical (idem : 55).

En matière de chronologie, les Andes septentrionales reprennent des séquences chronologiques établies pour la zone intermédiaire, avec toutefois de légères modifications et/ou précisions. Ainsi, Lumbreras propose une première séquence historico-culturelle formée par une période précéramique, suivie d’une période céramique ou initiale (10 000 avant JC à 3 000 avant JC), de chasseurs, de pêcheurs et de cueilleurs (en contradiction avec les cinq phases énoncées par Willey).
Lumbreras définit une période « formative », englobant les périodes formative précoce et formative de Willey. La période formative de Lumbreras se compose cependant de deux phases : celle de formation néolithique, et celle du mode de vie villageois (Lumbreras, 1981 : 62).
Enfin, pour les niveaux tardifs, Lumbreras fait référence à une période d’intégration, caractérisée par le développement de l’urbanisme, et à une brève séquence inca, correspondant à l’expansion incaïque, en particulier dans la Sierra sud de l’Équateur (idem : 64).

En guise de synthèse, Shaw et Jameson établissent que, concrètement, les Andes septentrionales correspondent principalement aux territoires actuels de l’Équateur et de la Colombie. Leur chronologie se diviserait en six périodes : le Paléo-indien (12 000 ? - 6 000 ? avant JC), l’Archaïque (6 000 avant JC - 3 000 avant JC), le Formatif (3 000 avant JC - 500 avant JC), la période de développement régional (500 avant JC - 500 après JC), la période d’intégration (ou de caciquats en Colombie) (500 après JC – 1 450), la période inca (en Équateur en particulier) (1 450 – conquête espagnole) (Shaw et Jameson, 2002 : 54).
De façon générale, les deux auteurs font apparaître qu’alors que la céramique et les modes de vie sédentaires sont apparus tôt dans les Andes septentrionales, les formations politiques complexes ont été bien plus tardives, atteignant leur apogée avec des cultures telles que celle de San Agustín, en Colombie (idem, 2002 : 55).

CONSIDÉRATIONS FINALES

Les notions de zone culturelle évoquées tant par le diffusionnisme que par l’écologie culturelle ont été sévèrement critiquées, en particulier pour leur caractère fortement déterministe. En effet, en allusion à la notion de zones culturelles, Larrain signale par exemple le risque sous-jacent à ce concept d’uniformiser des réalités culturelles différentes à partir de critères techno-économiques (Larrain, n/d : 34). La notion de zone culturelle comporterait ainsi une

ahistoricité, du fait de l’usage excessif du diffusionnisme pour expliquer des similitudes culturelles, un manque de hiérarchie d’attributs culturels, l’absence d’une considération fonctionnelle et de sens des éléments culturels dans chaque société à l’intérieur de la zone, la sous-estimation de la variabilité interne à l’intérieur de la zone et son potentiel analytique limité (Curet, 2004 : 85).

La connaissance scientifique est cumulative et le développement de nouvelles tendances théorico-méthodologiques ne peut pas faire abstraction des apports qui l’ont précédé, étant donné qu’il est dans un sens lui-même dérivé de ceux-ci, même s’il les critique. Steward n’a pas délaissé le concept de zone intermédiaire, malgré que ce-dernier soit issu d’un courant différent de celui que cet auteur promeut. Il l’a développé à partir de son propre point de vue (comme les peuples sous-andins et circum-caraïbes), en signalant que ceux-ci se caractérisent ainsi par l’omniprésence de caciquats précolombiens militaristes, dans lesquels la guerre jouait un rôle prépondérant dans le cadre de la circulation des ressources, ainsi que dans les milieux politiques et religieux. A leur tour, ces caractéristiques ont dérivé de la forte influence exercée par les deux grands foyers de civilisation voisins : le Mexique et le Pérou (Steward et Faron, 1959 : 202-204).

Les peuples sous-andins et circum-caraïbes, bien que semblables en matière de technologie culturelle aux tribus de la forêt tropicale, avaient un complexe de subsistance plus efficace qui faisait vivre une population plus dense ainsi que des colonies plus grandes et permanentes. Les colonies se composaient de plusieurs groupes sans parenté et s’organisaient sur une base de classes plutôt que d’âge, de sexe ou d’association tout simplement. La guerre, menée par les peuples marginaux principalement pour des motifs de vengeance et par les tribus de la forêt tropicale, pour des motifs de vengeance et de prestige personnel, est devenue, parmi les peuples sous-andins et circum-caraïbes, le principal moyen d’arriver à appartenir à la classe sociale supérieure, tandis que les prisonniers de guerre formaient une classe d’esclaves. Le comportement individuel était encore sanctionné par la tradition, mais la régulation gouvernementale – par l’intermédiaire de la loi de l’état – était précédée par des pouvoirs spéciaux et limités délivrés à des chefs, des guerriers et des chamanes dans des contextes particuliers et pour des périodes limitées. Parmi les peuples de la forêt tropicale et les peuples marginaux, le chamane exerçait ses activités principalement avec son propre assistant spirituel, et son rôle principal était de guérir et de pratiquer la magie. Dans les tribus sous-andines et circum-caraïbes, il avait en outre un rôle de prêtre dans les temples consacrés au culte des idoles dédiés aux dieux tribaux, bien que leurs rites eussent tendance à être des séances de prières privées plus que des cérémonies publiques dans le cadre d’un calendrier rituel (Steward, 1963 : 676, tda).

En fait, les apports du diffusionnisme à l’archéologie sont indéniables : c’est de cette tendance que sont issues les chronologies actuellement utilisées. Lumbreras représente sans doute un bon exemple de synthèse entre diverses tendances, comme le diffusionnisme et l’écologie culturelle. Même s’il s’agit de tendances déjà dépassées, à l’instar de nombreuses propositions scientifiques, elles contiennent des éléments d’analyse pertinents dignes d’être observés dans des contextes et des mesures adaptés. De nos jours, les catégories « d’Andes septentrionales » et de « zone intermédiaire » sont encore tout à fait en vigueur. Chaque chercheur doit les utiliser avec justesse et choisir celle qui est la plus utile en fonction de ses objectifs spécifiques d’étude.

En définitive, l’utilisation de la variable écologique dans l’analyse de la/des société(s) aborigène(s) des Andes septentrionales, peut apporter d’importants éléments explicatifs, pour une bonne compréhension et une bonne interprétation des formes d’organisation économique, politique et sociale à partir du registre archéologique. Elle pourra également enrichir les cadres théoriques avec sa contribution à l’étude de cas (Plaza, 2004 : 22).

C’est ainsi que se pose la nécessité de modèles d’analyse qui d’une façon ou d’une autre comblent les déficiences des propositions antérieures, sans toutefois les évincer complètement. Bray affirme par exemple que la culture doit être vue comme un concept relationnel et non isolé, ce qui implique d’étudier sa construction en lien avec les notions de contact et d’échange (Bray, 2004 : 280). En fait, les représentations de l’espace avec lesquelles travaille le chercheur se répercutent fortement sur le niveau d’interprétation des dynamiques socio-politiques que l’on cherche à étudier (Piazzini, 2006 : 17). Il existe effectivement différentes formes d’aborder l’espace (à travers la symbologie par exemple), qu’il serait également pertinent d’explorer (idem : 17).


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