miércoles, 4 de julio de 2012

Commémoration historique : 40ème anniversaire de la première commission mixte franco-équatorienne, 1966 – 2006 (Genèse des relations entre la France et l’Équateur) (4ème partie)


Par Darío Lara (Traduit de l'espagnol* par Catherine Lara)

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Quelques pages de Buchet de Martigny, si elles avaient été connues, auraient sans aucun doute alimenté  une certaine littérature indigéniste des années 30, si influencée par le marxisme de l’époque, et des paragraphes comme ceux que je cite auraient mérité d’amples commentaires :

« …La race indigène ou aborigène, bien que supérieure en nombre aux deux autres races réunies, se trouve réduite à un degré de misère et d’avilissement. C’est en vain que la loi l’a déclarée libre ; sa dégradation est telle que cette liberté n’est qu’illusoire et son sort pire que celui des esclaves. L’indépendance du pays n’a en cela rien changé : l’indigène est demeuré comme avant étranger à une terre qu’il était autrefois seul à posséder et il n’a jamais pris la moindre part aux évènements qui ont forgé son destin… En résumé, jamais des êtres ne m’ont paru plus dignes de compassion que les indigènes de l’Equateur. Ils sont à la merci de tous et sans cesse exposés aux mauvais traitements et aux injures. Pour eux n’existent nulle justice, lois ou protecteurs… » (page 7 et 9).

Je ne m’attarderai pas sur d’autres points auxquels Buchet de Martigny accorde une importance particulière. C’est ainsi qu’il écrit :

« Ces détails sur la population de l’Equateur m’ont semblé constituer une utile introduction à la Notice historique que j’ai décidé de rédiger et que je vais esquisser » (page 10).

Effectivement il traite ensuite le second point qu’il commence par ces lignes :

« Durant la domination espagnole sur le Nouveau Monde, l’Equateur était connu sous le vocable Presidencia de Quito. Il formait partie du vice royaume du Pérou ou du vice royaume de la Nouvelle Grenade » (page 10).

Sans autres préambules il passe directement au 19ème siècle :

« Même s’il ne parvint que tardivement à conquérir son indépendance, il fut l’un des pays de l’Amérique Espagnole où eurent lieu les premières tentatives pour s’affranchir du joug de la métropole. A partir du 10 août 1809, Quito fut le théâtre d’un mouvement révolutionnaire qui bien que se revendiquant officiellement du nom de Ferdinand VII, alors prisonnier en France, avait pour objectif évident de jeter à bas le pouvoir espagnol dans cette partie du continent. » (page 10).

Comme nous le constatons il s’agit d’une confirmation du rôle prédominant de Quito dans le mouvement d’émancipation du 19ème siècle à lequel se référait également Carlos de Torre Reyes dans les paragraphes que j’ai mentionné auparavant.

Buchet de Martigny fait ressortir la figure du Marquis de Selva Alegre ; il reconnaît l’échec de ce premier mouvement, tout comme celui dirigé par la suite par Don Carlos de Montúfar et ajoute : « Quito continua à obéir aux ordres de la métropole, y compris après le mouvement de Guayaquil en 1820. La victoire lors de la bataille de Pichincha en 1822, après ses triomphes remportés dans le Nord, ouvrit à Bolivar les portes de Quito ».

Un des points de ce chapitre qui requiert une rectification par rapport au document de Buchet de Martigny est celui dans lequel il se réfère à l’incorporation de Guayaquil à la Colombie. Lisons donc ce paragraphe du chroniqueur français :

« Cette province qui avait conquis son indépendance par ses propres moyens, voulut la conserver et bien qu’elle ne souhaita pas s’associer à une des Républiques limitrophes, si elle avait été libre de sa volonté elle se serait prononcée non pas pour la Colombie mais pour le Pérou. De la Colombie elle était séparée par une immense distance et plusieurs chaînes de montagnes d’où des communications difficiles. Sa position géographique, ses relations commerciales, ses coutumes, ses intérêts et la conduite de ses habitants la rapprochaient naturellement du Pérou. Cependant, ces considérations n’arrêtèrent pas Bolivar. Il marcha à la tête de ses troupes victorieuses sur Guayaquil qui de gré ou de force finit par lui ouvrir les portes et se soumettre définitivement à l’autorité du gouvernement de Bogota… » (page 11).

S’il est vrai qu’après le 9 octobre 1820 il y eut des partisans de l’autonomie de la Province, d’autres de l’union avec le Pérou, avec lequel les intérêts économiques étaient très actifs et que San Martin favorisa un temps ce rapprochement, il n’en est pas moins certain que des siècles auparavant, et on ne doit pas l’oublier, Guayaquil formait partie du Royaume de Quito avant même la conquête espagnole, et que durant l’époque coloniale elle fut partie intégrante de la Real Audiencia de Quito. On doit rappeler, parmi d’autres documents, l’édit du 22 juin 1819 dans lequel le Roi d’Espagne annonça solennellement :

« Je déclare qu’ayant été rétabli le vice royaume de Santa Fe, la Présidence et l’Audiencia de Quito dans l’exercice de ses fonctions il incombe à cette dernière de traiter les besoins civils et judiciaires du gouvernement de Guayaquil, ainsi que les thèmes référents aux finances, puisque le dit gouvernement dépend militairement de ce vice royaume… » (42).

D’autre part on ne doit pas oublier que la présence du Général Sucre et de l’armée qui remporta la victoire au Pichincha et à Ayacucho contribuèrent définitivement à l’indépendance de Guayaquil menacée par les forces royalistes. La présence de Bolivar fut décisive pour son rattachement à la Colombie dans la mesure où il avait clairement exprimé son point de vue à ce sujet dans une lettre datée du 21 juin 1822 et adressée à Sucre :

« Renoncer à Guayaquil est impossible et il serait plus utile de renoncer au Département de Quito. Outre le fait que l’exemple inutile et antipolitique de Guayaquil soit contagieux, son territoire est enclavé dans notre frontière sud. Guayaquil est protégé par le Pérou qui a sous ses ordres tous les militaires du Sud de l’Amérique… Pensez aussi que c’est désormais le moment de démontrer notre force et de tenter notre destin afin de ne pas être relégués de l’autre côté des Andes dans les plaines de Neiva » (43).

Après la victoire du Pichincha, et à cause des difficultés que San Martin rencontrait au Pérou et de son retrait des affaires politiques et militaires, après l’entrevue historique des deux Libertadores, toutes les hésitations se dissipèrent et Guayaquil, composante de la Real Audiencia de Quito, intégra la Colombie. Buchet de Martigny le consigne ainsi :

« De cette façon la Présidence de Quito se retrouva totalement annexée à la Colombie et forma depuis lors partie intégrante de cette République dont elle constitua les trois Départements les plus méridionaux sous le nom de Quito, Guayaquil et Azuay jusqu’aux débuts de 1830 » (page12).

Buchet de Martigny se réfère en peu de phrases aux campagnes qui s’achevèrent avec l’indépendance du Pérou et la formation de la Bolivie, et donne cette explication :

« Quant aux évènements qui se déroulèrent durant ce laps de temps en Colombie, je ne consignerai par écrit que ceux dont l’Equateur fut le théâtre ou qui sont indispensables… » (page 12).

Il n’a rien d’étonnant à ce que Buchet de Martigny, tout comme Rattier de Sauvignan, se réfère au conflit qui éclata entre la Colombie et le Pérou. Et son témoignage est d’une grande importance. Il ne s’attarde pas à expliquer les causes du conflit et écrit :

« Les Départements méridionaux de Colombie ne tardèrent pas à devenir le théâtre d’évènements encore plus importants. Proclamé Dictateur à Bogota, Bolivar, après avoir dissous la Convention d’Ocaña, décida résolument de déclarer la guerre au Pérou ; par conséquent il chargea Flores de constituer dans le Sud une petite armée dont il lui confia par avance le commandement. Flores se montra digne de la confiance dont Bolivar avait fait preuve à son égard… Ayant déclaré la guerre entre les deux Républiques, Bolivar dans l’attente de résoudre des affaires importantes qui le retenaient à Bogota, avant de pouvoir diriger les opérations, crut convenant de confier le commandement au Général Sucre qui venait d’arriver de Bolivie. Flores fut de cette manière placé sous les ordres de Sucre mais ne cessa pas pour autant de faire preuve durant toute la campagne d’une grande activité, de beaucoup d’ardeur et de bravoure » (page 14).

Il résume avec une grande exactitude cette campagne :

« Les péruviens débutèrent les hostilités en attaquant par voie maritime la ville plus ou moins ouverte de Guayaquil ».

Et après avoir fourni quelques détails sur les opérations il confirme :

« …les péruviens furent complètement mis en échec et contraints de signer un Traité par lequel ils s’engageaient à regagner leur territoire et à évacuer la ville de Guayaquil » (pages 14 et 15).

Il est curieux de voir que tout en décrivant cette action militaire, Buchet de Martigny semble interrompre le cours logique de son récit pour s’attarder avec force détails sur la personnalité du Général Flores. Avant toute chose il présente une brève annotation biographique : ses origines, sa naissance et ses premières activités au sein des armées libératrices. Il insiste tout particulièrement sur sa rapide ascension dans la hiérarchie militaire en soulignant ses qualités naturelles : « sa valeur, son activité et surtout un esprit vif et pénétrant, qualités qui ajoutées à ses manières agréables et persuasives lui avaient permis de jouir de l’appui de ses supérieurs. » Rien d’étonnant à ce que Bolivar l’ait particulièrement distingué : lieutenant colonel à 21 ans, Commandant Général du Département du Sud, il parvint à soumettre la troisième division qui s’était rebellée et fut à 25 ans nommé Général de Brigade. Nous verrons par la suite comment tous les diplomates français qui entrèrent en relation avec Flores confirmèrent les éloges de Buchet de Martigny, ce qui ne les empêcha pas cependant de faire également référence à ses erreurs et à ses échecs dans le domaine politique, dans des termes parfois hors de proportion.

Après la victoire de Tarqui, nous pouvons lire ces lignes dans la Notice :

« Tous s’accordent à dire que c’est au Général Flores que revient la part principale de cette victoire ; Sucre le promut Général de Division sur le champ de bataille et Bolivar s’empressa d’approuver cette décision. Flores avait à peine 25 ans » (page 15).

Une fois achevée le récit du conflit entre la Colombie et le Pérou, Buchet de Martigny évoque dans les dix pages qui suivent le triste panorama des années 1829 – 1830, particulièrement agitées, alors que Bolivar dut faire face aux pires difficultés que connut son activité politique. Le « Congrès Admirable » convoqué au début de 1830 était censé promulguer une nouvelle Constitution. Le Maréchal Sucre, représentant de Quito, eut une entrevue avec le Libertador à Popayan et lui aurait suggéré de rédiger la Contitution. Mais, comme l’écrit le professeur Jorge Villalba F., S.J, Bolivar en accord avec Sucre « avait chargé Juan Garcia del Rio, de Carthagène, de rédiger les bases d’une nouvelle Constitution. Le Libertador transmit ce projet aux Départements du Sud en quête de soutien et ceux-ci l’approuvèrent avec ferveur. Le Général Flores en personne le publia et le commenta élogieusement dans le numéro 20 du journal « El Colombiano de Guayas » en date du 20 avril 1829… » (44).

Sur cette période, Buchet de Martigny nous fournit ce commentaire :

« …Les personnalités les plus importantes de la République, lassées de tant de dissensions civiques et d’hésitations politiques avaient pensé trouver une solution dans la monarchie constitutionnelle. Bolivar lui-même, soit qu’il ait pensé à ceindre la couronne, soit qu’il ait seulement souhaité qu’on la lui propose pour avoir le privilège de la refuser et de confondre ainsi ses détracteurs, avait dans les premiers temps applaudi à l’idée de ce projet. » (page 16).

Cette idée de monarchie pour l’Amérique a été constamment commentée par de nombreux voyageurs, agents et diplomates des puissances européennes de l’époque. Nous connaissons une des missions les plus importantes accomplies en Colombie en 1828 – 1830 par Charles Bresson, messager en « mission spéciale » sous le règne de Charles X, roi de France. Cette idée de monarchie fut défendue par Espejo lui-même et dans « la tentation monarchique » de Flores, le professeur Jorge Villalba rappelle très clairement comment notre premier Président écrivit au Général Demarquet, alors à Lima, en juillet 1826 pour qu’il présente au Libertador Bolivar le projet d’instaurer la monarchie qui bénéficiait, assurait-il : « … de l’appui massif des chefs du Sud, en particulier le sien, décidé et ferme jusqu’à la mort ». Il ajoute ensuite : « La réponse du Libertador fut immédiate et décourageante : J’ai lu avec surprise ce que vous avez communiqué par écrit à Demarquet. Je vous dis dès maintenant, avec franchise et amitié que je n’approuve pas votre désir. Non et non ! » (45).

Il est certain que Bolivar, face aux événements qu’il ne parvenait à contrôler qu’avec difficulté, ait pu envisager à un certain moment la solution monarchique et des extraits de sa correspondance, comme ceux que je cite, le montrent clairement. Le 2 novembre 1829 il écrit dans une de ses lettres à Manuela Saenz :

« Je pars prochainement pour Popayan. Nous nous reverrons très bientôt. Je suis en train d’achever une note que j’enverrai au Ministre des Affaires Etrangères pour que le Conseil des Ministres suspende toute négociation sur la monarchie, et qu’il laisse au prochain Congrès le soin prendre les décisions qui conviennent aux intérêts de cette Nation » (46).

Ces mots viennent confirmer ceux écrits le 22 novembre, soit vingt jours après, au général Urdaneta :

« En ce qui concerne le thème que nous avons commencé à traiter avec les gouvernements de la France et de l’Angleterre, il me semble que nous sommes déjà allés trop loin et que la chose est très dangereuse et inévitable. Nous ne devons donc pas faire un pas de plus, mais laisser le Congrès faire son devoir et décider de ce qu’il jugera adéquat. Tout le reste ne serait qu’usurper ses fonctions et trop se compromettre ; c’est ce que j’ai transmis à monsieur Vergara… » (47)

*Lara, Darío, Histórica conmemoración: 40 años de la Primera Comisión Mixta franco-ecuatoriana, 19966-2006, Comisión Nacional Permanente de Conmemoraciones Cívicas. Quito, 2006.

NOTES :

(42) A. Darío LARA, Œuvre citée ; N°30.

(43) Idem.

(44) P. Jorge VILLALBA F., S.J., El general Juan José Flores, Fundador de la República del Ecuador (Le Général Juan José Flores, Fondateur de la République de l’Equateur); Centre d’Etudes Historiques de l’Armée ; Quito, 1994.

(45) Idem.

(46) Manuel ESPINOSA APOLO, Simón Bolívar y Manuela Sáenz, Correspondencia íntima (Simon Bolivar et Manuela Saenz, courrier intime); Quito, 1996.

(47) José Luis SALCEDO BASTARDO, Visión y Revisión de Bolívar (Vision et Revisión de Bolivar); Centre d’Etudes Historiques, Quito, 1996.

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