NOTES DE LA VICTOIRE DE JUNIN
(A) Les notes de José Joaquin Olmedo sont transcrites en caractères gras.
(1) Junin, bourg du Pérou, sur le chemin de Pasco à Cuzco, célèbre par la victoire que Bolivar remporta la 6 août 1824 sur les Espagnols, commandés par le général Canterac.
(2) Les physiciens se sont efforcés d’expliquer l’équilibre que garde la terre malgré la différence des masses des deux hémisphères. L’énorme poids des Andes ne fournirait-il pas une des données qui conduiraient à la résolution de ce curieux problème de géographie physique? (Note d’Olmedo).
(3) Le Soleil était le dieu des indiens du Pérou. Les Incas s’en proclamaient les fils. A Cuzco, la ville sainte, se trouvait le grand temple du Soleil.
(4) Le Guayas est le fleuve qui baigne la ville de Guayaquil sur les rives de laquelle cette ode fut écrite. On croit, (nous l’avons dit), qu’il prit son nom de Guayas, ancien chef d’indien du pays avant la conquête. (Note d’Olmedo). C’est devant la ville de Guayaquil que le Guayas mesure deux kilomètres de largeur.
(5) Le nom de Pindare est aujourd’hui plus célèbre que celui des héros qu’il chanta. (Note d’Olmedo).
(6) Tout le monde sait que Bolivar réunit une grande Confédération, sous le nom de République de Colombie, les Etats qui s’appellent aujourd’hui le Venezuela, la Colombie et l’Equateur.
(7) Olmedo a transformé dans ces deux derniers vers la sublime réponse d’Hector dans l’Iliade: «Le meilleur augure, c’est combattre pour son pays».
(8) C’est l’ «audaces fortuna juvat» souvent rappelés chez les poètes.
(9) Dans le même ordre d’idées, Rotrou a dit: «Qui veut vaincre est déjà tout près de la victoire» (Venceslas, act. II, sc.2).
(10) Allusion aux trois couleurs de l’arc-en-ciel, jaune, bleue et rouge, qui forment le drapeau de la Colombie, et dans celui du Pérou un soleil y est gravé. (Note d’Olmedo).
(11) Le premier choc de la cavalerie péruvienne avec celle des Espagnols à Junin fut très défavorable aux soldats de Bolivar (Note d’Olmedo).
(12) Le général Necochea, dont nous parlons plus loin, a été chanté dans un poème intitulé «América», après la victoire de Chacabuco remportée au Chili.
(13) Necochea (Mariano), général argentin des guerres de l’Indépendance, né, comme son frère le général Eugenio Necochea, à Buenos-Ayres en 1790, mort au Pérou en 1819. Il se fit remarquer par son courage et son intrépidité aux batailles de Chacabuco (1817), où il commandait les fameux grenadiers à cheval, de Cancha-Rayada, etc., et contribua à la glorieuse victoire de Maipu qui affranchit le Chili (5 avril 1818). Général de brigade au siège du Callao, il fut promu général en chef de la cavalerie en 1823 et se trouvait à sa tête à la charge de Junin qui décida de la victoire, après laquelle il fut nommé général ce division par Bolivar. (Note d’Olmedo).
(14) Quant ce chant fut écrit -1825- tous croyaient que les nombreuses blessures reçues à Junin par le général Necochea étaient mortelles. (Note d’Olmedo).
(15) Miller (Guillermo) militaire anglais qui servit avec éclat la cause de l’Indépendance américaine au Chili et au Pérou et combattit dans les immortelles journées de Junin et d’Ayacoucho. Il était né à Wingham, en 1795 et avait combattu dans les rangs de l’armée anglaise en Espagne d’abord, aux sièges de Ciudad-Rodrigo, Badajoz, San Sebastián et au blocus de Bayonne, puis aux Etats-Unis en 1814. Il mourut à Lima en 1861, général de division.
(16) La cavalerie péruvienne, par ses prouesses, mérita dans cette journée mémorable que le Libérateur lui donnât désormais le nom de hussards de Junin. (Note d’Olmedo).
(17) Les Péruviens, plus spécialement les fils de Lima, passaient pour être peu portés aux arts et aux fatigues de la guerre; peut-être, comme on l’a dit en Italie, non sans raison parce que:
«La terra molle, lieta e dilettosa
Simile a se gl’abitator produce”.
Mais la jeunesse péruvienne, donnant un démenti à cette opinion vulgaire, s’est brillamment distinguée dans tous les combats des cinq dernières années. Ce qui prouve que nul ne peut dire ce dont un homme est capable avant que le moment n’arrive de donner libre cours à ses dons naturels, cachés ou étouffés par les coutumes et les vices de chaque climat, par l’éducation et la politique des gouvernements. (Note d’Olmedo). L’admirable héroïsme déployé par les Péruviens lors de la dernière guerre avec le Chili, confirme justement l’opinion du poète.
(18) Il semble que les prouesses d’Achille ont forcé la nature à créer le génie d’Homère pour les chanter. (Note d’Olmedo). Ne pourrait-on pas en dire autant du génie d’Olmedo, chantre de Bolivar?
(19) Il n’est pas possible de citer dans un poème tous ceux qui se sont distingués à Junin. Briux, Pringgles, Lizarraga, Savry, Blanco, Olavarria, Brown, le colonel Francisco Medina, Allende, Camacaro, Escobar, Sandoval, Jiménez, Peraza, Segovia, Tapia, Lanza, etc., etc. Il est très regrettable de ne pouvoir insérer les noms de tous les chefs, officiers et même les soldats qui combattirent à Junin. Ce silence serait plus fâcheux si leurs noms avaient besoin de mon chant pour être mémorables. (Note d’Olmedo). Carbajal (Lucas) général né au Venezuela. Il fit toutes les campagnes de 1813 à 1825 au Venezuela, à la Nouvelle-Grenade, à l’Equateur, au Pérou et en Bolivie et combattit par conséquent, à Boyaca, Junin et Ayacoucho. Il mourut assassiné en Colombie (1830); Silva (Laurencio) né au Venezuela (1792-1873) général après la bataille d’Ayacoucho. Il prit part, comme Carbajal, aux plus glorieuses batailles livrées pour l’indépendance du Venezuela et du Pérou. Il fut l’exécuteur testamentaire de Bolivar dont il avait épousé une parente. Suarez (Isidoro) né au Pérou en 1790. Il lutta pour l’indépendance du sol natal à Torata, Noquegua et brilla à Junin à la tète de trois escadrons de cuirassiers qui méritèrent le nom de «Husssards de Junin», avec lequel ils combattirent, sous les ordres de Suarez, à Ayacoucho.
(20) Reminiscence de «micat inter omnes…».
(21) Homère fut le fils de Méon. On croit aussi qu’il naquit en Méonie dans l’Asie Mineure. (Note d’Olmedo).
(22) La bataille de Junin commença à cinq heures du soir; l’arrivée de la nuit empêcha la destruction complète de l’armée royale. (Note d’Olmedo).
(23) Comme emblème impérial, les Incas portaient un gland rouge au front, tandis que les Scyris du royaume de Quito s’y attachaient une émeraude.
(24) Huaina Capac, le plus illustre des Incas et le plus grand conquérant, père de Huascar et d’Atahualpa, mort en 1525. Après lui, nous dit Olmedo dans une note, quelques Incas régnèrent encore; mais il fut le dernier qui posséda intégralement l’Empire. Les autres régnèrent dans un royaume divisé, toujours agités par les guerres civiles ou enchainés par les Espagnols.
(25) L’inca Atahualpa, héritier du royaume de Quito, qui dans certains poèmes en Europe a été appelé á tort Ataliba.
(26) François Pizarre et le père Valverde, plus tard évêque, qui ordonnèrent le supplice d’Atahualpa.
(27) On a rapproché de ce vers le «Ilion, Ilion, fatalis incestusque judex». Huascar, le fils préféré de Huaina Capac, ne fut pas tué par les Espagnols; mais ceux-ci causèrent sa mort en s’immisçant dans les affaires des frères-rois dont les dissentiments auraient pu se terminer autrement. (Note d’Olmedo). Huascar, héritier de l’empire de Cuzco convoité par Atahualpa, fut noyé par un des généraux de celui-ci, ou du moins sur son ordre.
(28) Guatimozin (1497-1522), dernier empereur aztèque de l’Anahuac, pendu sur l’ordre de Cortez qui, auparavant, le fit en vain s’étendre sur des charbons ardents pour le contraindre à avouer où ses trésors étaient cachés.
(29) Montezuma (1466-1520), denier roi de Mexico, se laissa mourir de faim dans sa prison pour ne pas supporter la honte de servir d’instrument aux desseins ambitieux de Cortez.
(30) Allusion à la tortue infligée á Guatimozin et á son ministre et au massacre ordonné par Cortez au milieu des réjouissances publiques auxquelles il avait invité les aztèques en signe de paix et d’amitié.
(31) La muse d’Olmedo a certainement dépassé la mesure, bien que ces paroles soient admissibles dans la bouche d’un Inca dont le peuple, autant que lui-même, eut si cruellement à souffrir de la part des conquérants.
(32) Olmedo s’est souvenu ici des mots prononcés par Mme Rolland sur l’échafaud: «O Liberté, que de crimes on commet en ton nom!»
(33) Le non de Las Casas ne peut être rappelé sans émotion par un Américain, malgré le dernier égarement de son zèle. Quand les grandes passions ne se sont-elles pas égarées! Le nom de Las Casas est très vénéré en Amérique, tandis qu’en Espagne on le traite de fanatique et d’imposteur! (Note d’Olmedo). Ce célèbre prêtre espagnol, né à Séville (1474-1566) défendit vigoureusement, avec une grande compassion, la race indienne contre l’oppression des conquérants.
(34) La mer Atlantique, qui baigne le Venezuela, patrie de Bolivar.
(35) La Péana de l’Inca était un édifice où il avait l’habitude de se reposer quand il traversait la grande route de la Cordillère. Ses ruines, ou plutôt, leurs vestiges, se trouvent prés du champ de bataille de Junin. (Note d’Olmedo).
(36) Le chef de l’armée royale, défait à Junin, se rendit précipitamment à Cuzco, pour y préparer une deuxième bataille après avoir coupé les ponts de l’Apurinac. Cela arrêta l’armée libératrice sur la rive gauche du fleuve. Le général Bolivar, après avoir pris les dispositions nécessaires, retourna alors à Lima pour organiser de nouvelles troupes et continuer la campagne après la saison rigoureuse de l’hiver. Dans cet intervalle les Espagnols réunirent avec une efficacité admirable toutes les forces dont ils disposaient à Cuzco et dans d’autres provinces en ravissant tous le matériel de guerre, utile ou inutile, qui se trouvait dans le pays, et ils passèrent à l’improviste de l’autre côté de l’Apurinac et se présentèrent à Ayacoucho avec près de dix mille hommes, alors que notre armée en avait à peine cinq mille. (Note d’Olmedo).
(37) Dans les champs d’Ayacoucho eut lieu la célèbre victoire prédite par l’Inca. Elle fixa la destinée de l’Amérique. Dans ces mêmes lieux, au début de la conquête, les Almagro et les Pizarre se disputèrent la domination du Pérou avec un tel acharnement, que l’amoncellement de morts de l’un et l’autre camp valut à ce site le nom d’Aya-Cucho, ce qu’on peut traduire par le «Coin des morts». Aussitôt que les rênes de l’empire se trouvèrent dans une seule main la conquête du pays entier fut plus rapide. (Note d’Olmedo). Le général La Serna, vice-roi du Pérou, qui commandait l’armée espagnole à Ayacoucho, y fut battu par le général Sucre et fait prisonnier par le général Cordoba après avoir reçu six blessures. L’indépendance du Pérou et de toute l’Amérique du Sud fut assurée par cette éclatante victoire, le 9 décembre 1824.
(38) Sucre (Antonio José de), (qu’il faut prononcer Soucre), gloire sans tache de l’Indépendance, son plus pur héros, né au Venezuela en 1793. Il servit dès l’âge de dix-sept ans sous les ordres de Miranda Nariño (1812) et sous Bolivar (1813). Il se trouva au premier rang partout, secondant le Libérateur avec autant de génie militaire que de dévouement. [Il avait rempoté deux victoire importantes sur les Espagnols, près de la rivière de Yahuachi en 1821 et les flancs du volcan Pichincha en 1822, quand Bolivar le nomma général en chef des armées réunies, et en cette qualité il commanda la bataille d’Ayacoucho, après laquelle il fut fait maréchal. (Note d’Olmedo)]. Quand l’Etat de Bolivie fut constitué, il se vit nommé à l’unanimité Président à vie de cette République. Ses vertus n’y purent triompher des dissensions politiques et, après avoir reçu une balle dans une émeute, il renonça en 1828. Il fut lâchement assassiné en 1830, près de Pasto, lors de son voyage de retour à Quito, par des bandits à la solde de rivaux jaloux de sa gloire et ambitieux. L’Equateur lui a élevé une statue à Quito, œuvre de M. Falguière, et a donné son nom à l’unité monétaire de la République.
(39) L’Apurimac, rivière qui nait à la jonction des Andes du Chili avec les Andes du Pérou.
(40) Cordova (José María), l’un des plus vaillants et hardis guerriers qui combattirent sous Bolivar. Il naquit en Colombie en 1800 et, presque enfant, embrassa la cause de l’Indépendance. A dix-neuf ans il mérita par son courage d’être promu lieutenant-colonel sur le champ de bataille de Boyaca. Sous les ordres de Sucre, en Equateur, il fut le premier qui planta le drapeau tricolore sur la ville de Quito en 1822. Il y conquit le grade de général de brigade. La plus belle page de sa vie militaire est celle que son épée traça à Ayacoucho, où il fut élevé au grade de général de division par Bolivar, après la victoire. Il y commanda l’aile droite avec les bataillons Caracas, Pichincha, Voltigeurs et Bogota. Au moment décisif, le général Sucre ayant dit à Cordova en lui indiquant une colline: «Général, si vous prenez d’assaut cette hauteur-là, nous gagnons la bataille; si vous êtes repoussé, nous la perdons», Cordova s’élança à la tète de ses bataillons secondés par huit escadrons de cavalerie, en s’écriant: «Soldats, l’arme de votre choix et marchez en vainqueurs». Il enleva la position et fit remporter la victoire. Bolivar mit sur la tète de ce héros, qui comptait alors à peine 24 ans, le couronne d’or et de pierres précieuses que la ville de Cuzco lui offrit. Cordova en fit don à sa ville natale. L’Ajax américain qui avait tout pour plaire et pour briller: jeunesse, fortune, noblesse et gloire, périt misérablement lors d’une révolution, massacré par un anglais, avant l’âge de trente ans.
(41) Le général Miller commandait les forces du centre de l’armée avec les bataillons Grenadiers et Hussards de Colombie.
(42) Vargas (José María) colonel, né au Venezuela, il s’y était illustré, ainsi que son frère, le lieutenant-colonel Fermín Vargas, tué á la bataille du Santuario (1830) où il fut lui-même blessé. L’un des régiments qui se battirent á Ayacoucho, portait aussi le nom de Vargas, en souvenir de la bataille du Pantano (le marécage) de Vargas, qui précéda celle de Boayaca.
(43) Lara (Jacinto), général né au Venezuela (1780-1859). Il commandait la réserve composée des régiments Rifles, Vargas et Vainqueur. Il avait brillé précédemment dans les campagnes du Venezuela et de la Nouvelle-Grenada par des exploits nombreux.
(44) Il n’est pas possible de rappeler tous les régiments qui se battirent et triomphèrent à Ayacoucho, Bogota, Voltijeros, Pichincha, Rifles y Caracas ; les bataillons 1, 2 et 3 du Pérou, la Légion péruvienne, les Grenadiers, les Hussards de Colombie et ceux de Junin. Chacun d’eux s’y distingua tout particulièrement. (Note d’Olmedo).
(45) La Mar signifie; la mer, et c’est ce qui fait dire avec Olmedo: avec un nom terrible.
(46) La Mar (José) 1778-1830. Olmedo a laissé sur ce champion de l’Indépendance la note suivante en pied de page: «Le général La Mar, naturel de Guayaquil, commanda vaillamment l’aile gauche de l’armée qui souffrit le plus terrible choc des forces ennemies et décida de la victoire. Tout jeune, il fut envoyé par sa famille la Péninsule pour y suivre la carrière militaire et il se fit remarquer dans la guerre que l’Espagne soutint si glorieusement contre les Français de Napoléon». (Il se trouva au siège de Saragosse, comme colonel, sous les ordres de l’héroïque Palafox et y fut blessé, puis, après la reddition du général Black, il fut l’un des officiers prisonniers envoyés en France par Suché et fut seul incarcéré á Dijon par suite de son refus de donner sa parole d’honneur de ne pas chercher à fuir. Un royaliste lui procura les moyens de s’évader et de partir en Italie, d’où il retourna en Espagne. Ferdinand VII l’éleva au grade de général). «Il retourna en Amérique», continue Olmedo, «avec le titre d’Inspecteur général du Pérou. Les chefs espagnols lui laissèrent le commandement de la place du Callao, quand ils abandonnèrent Lima pour la première fois, à l’approche du vaillant et rusé général San Martin. Ce fut là une situation très difficile pour La Mar qui, de longue date, abritait des sentiments américains qu’il lui fallait refouler pour obéir sévèrement aux lois de l’honneur. Mais, à cette époque là aussi, les patriotes enfermés dans la citadelle connurent le cœur de cet américain vertueux. Quand il lui fut donné de délier honorablement les nœuds qui l’attachaient à l’Espagne, l’opinion publique lui fut si favorable, que peu après la capitulation du Callao, il fut élu à l’unanimité, par le premier Congrès du Pérou, Président du Gouvernement. C’est alors que les ennemis de La Mar, c’est-à-dire les ennemis de l’ordre et du bien public, conspirèrent contre lui et répandirent le bruit qu’il avait des connivences avec les chefs de l’armée royale; mais le champ d’Ayacucho fit voir quelles étaient ces connivences avec les ennemis de la patrie. Et le temps, dévoilant tous les faits, a montré quels étaient les faux patriotes, quels étaient ceux qui usurpèrent un pouvoir que les modères refusèrent, quels étaient, enfin, ceux qui, en gouvernant leur patrie, s’y firent des tyrans, pour la trahir ensuite. Réjouis-toi de ce triomphe supérieur à la gloire militaire dont tu t’es couvert, ô mon tendre ami! «O magnae spes altera Romae!». (Note d’Olmedo). La Mar mourut pendant son exil au Costa Rica. Quinze ans après sa mort, en 1845, le Pérou réclama ses restes. On pourra, dans le trait suivant, apprécier le grand cœur de ce guerrier vertueux: après la victoire d’Ayacoucho, il reçut en récompense une des plus vastes et riches propriétés rurales du Pérou, confisquée à un espagnol hostile à la cause de l’Indépendance. La Mar, honnête et généreux, la rendit peu après à son ancien propriétaire.
(47) Il y avait à Ayacoucho, dans l’armée royale, un grand nombre de vétérans qui combattirent en Espagne les armées de Napoléon.
(48) Le «Quaesivit coelo lucem, ingemuit reperta», de Virgile, semble avoir inspiré notre poète.
(49) Il y avait quinze généraux espagnols au Pérou. Tous, par un heureux hasard, se trouvèrent réunis sur le champ de bataille d’Ayacoucho pour rendre plus glorieuse cette journée; tous furent obligés de se rendre et de capituler; tous sont retournés dans leur patrie avec toute leur fortune. La capitulation fut demandée et accordée après que le gros de l’armée royale eut été mis en déroute et quand il ne restait plus à battre qu’un corps de réserve sans grande importance. Il nous semble que rien ne manque à cette conduite pour être le trait caractéristique d’un peuple. (Note d’Olmedo).
(50) Le peuple de Quino ou Quinoa se trouve près d’Ayacoucho. (Note d’Olmedo).
(51) L’Apurimac, après une assez longue course, se jette dans l’Ucayale qui, à son tour, débouche dans le fameux fleuve des Amazones. (Note d’Olmedo).
(52) Rémiscence de «Crecit velut arbor«, mais combien plus heureuse et plus parée de couleur locale!
(53) Le Congrès du Pérou nomma Bolivar dictateur, au moment où la République courait les plus grands dangers. (Note d’Olmedo).
(54) Pacha-Camac, divinité invisible dont l’image était le soleil. Ce nom se compose de Pacha, univers, et de Camac, participe du verbe Cama, animer, et signifie dans la langue des Indiens, «Celui qui anime l’Univers». On le tenait en grande vénération et le peuple n’osait pas prononcer son nom. On lui vouait un culte intérieur. Le cœur de l’homme était son unique temple. En parlant du temple de Pacha-Camac nous avons voulu entendre par là le temple du Soleil, sous la magnifique image duquel il était adoré. Combien de peuples qui se vantent de leur antique civilisation n’ont pas atteint ces beaux principes de théologie naturelle! (Note d’Olmedo).
(55) «Discordia demens
Vipereum crinem vittis innexa cruentis» (Enéide, vii, 702).
(56) Nos frères de l’Amérique du Nord ont été les premiers à reconnaître l’indépendance des peuples du sud, à laquelle ceux-ci furent entrainés par leur exemple et par leur amitié. Le drapeau des Etats-Unis porte autant d’étoiles qu’il y a d’Etats dans la Confédération. L’Etat de la Virginie a pardessus les autres la gloire d’être la patrie de Washington. (Note d’Olmedo).
(57) L’Angleterre fut la première des nations européennes qui reconnut l’indépendance des nouveaux Etats américains. (Note d’Olmedo).
(58) Dans cette comparaison on a voulu exprimer le désir de voir tous les peuples d’Amérique n’en former qu’un seul par leurs relations et leurs liens fraternels. C’est dans de ce sens là que l’Inca, lorsque dans sa prophétie il parle de son peuple, de son Empire, comprend tous les peuples qui sont unis et reliés pas la chaine des Andes… (Note d’Olmedo).
(59) Réminiscence heureuse de «Serus in coelum redeas».
(60) Manco Capac fut le premier Inca (nous l’avons déjà dit), le premier législateur du Pérou. On le croyait descendu du ciel, et on le vénéra toujours comme une divinité (note d’Olmedo).
(61) Là se termine la prophétie de l’Inca, que l’on critiquera, peut-être, comme étant trop longue, ce qui est juste. Mais ne pardonne-t-on pas à un Inca qu’avant le grand oracle, objet de son apparition, il exhale quelques plaintes en revoyant les lieux qui furent le théâtre des horreurs de la Conquête! Ne pardonnera-t-on pas à un bon père et à un bon roi de déplorer avant tout le sort de ses fils et de son peuple? Ne pardonnera-t-on pas à un guerrier qu’il stimule le courage des guerriers avec le souvenir des offenses passées, bien qu’il s’agisse de faits très connus de l’histoire de son pays? Ne pardonnera-t-on pas à un vieillard un discours prolixe et à un sage âgé de ne pas perdre l’occasion de donner des conseils? Ne pardonnera-t-on pas, enfin, à un prêtre de prolonger un peu l’attente du peuple en lui annonçant les oracles du ciel?
Les oracles étaient, en général, brefs et sentencieux, c’est vrai; mais la victoire d’Ayacoucho est de la plus grande importance, puisqu’elle a fixé les destinées du peuple américain; elle ne serait pas bien chantée si l’on ne célébrait pas tous les incidents qui la rendent mémorable. En outre, la prolixité même de ces incidents donne de plus grandes apparences de vérité à la prédiction. C’est pour cela qu’on a choisi un prophète inspiré qui prévoit tout; un vieillard qui n’omet rien de ce qu’il prévoit et un Inca qui regarde avec intérêt tout ce qui contribue à la gloire de l’Empire. D’un autre côté, la mention qu’il fait de tous les chefs qui devaient se distinguer à Ayacoucho sert à stimuler de nouveau leur courage, autant par la louange anticipée de leurs prouesses que par l’espoir certain de la victoire. –On dira, enfin, que l’Inca de ce chant sait plus de choses qu’il ne devait en savoir de son temps. Mais celui-là était un Inca doué d’un esprit prophétique qui, d’après les traditions antiques, avait prédit l’invasion des Espagnols, l’établissement d’une nouvelle religion et les destinées de l’Empire. Il ne faut pas, surtout, s’étonner qu’il ait des idées justes touchant la religion, la législation et la science du siècle, puisqu’il habite les régions de lumière et de vérité. (Note d’Olmedo, qui répond ainsi aux principales critiques formulées sur ce poème, comme nous le verrons au chapitre suivant).
(62) Le Magdalena (poétiquement le Madalén) est un fleuve qui coule vers la mer aux environs de Bogota, comme L’Eurotas dans le voisinage de Sparte. Le Rimac traverse Lima comme le Tibre traverse Rome. (Note d’Olmedo).
(63) C’est le: «Bella matribus detestata» d’Horace qu’Auguste Barbuir a aussi fort heureusement rappelé dans ses Lambes en parlant de la colonne Vendôme, par ce vers de l’Idole: «Ce bronze que jamais ne regardent les mères».
(64) «Cantaber sera dominitus catena» a dit encore Horace.
(65) Le Tormé et le Génil, ou Xénil, sont des rivières espagnoles; le premier est un affluent du Douro, dans la province de Salamanque, le second passe à Grenade et se jette dans le Bétis, nom ancien du Gualdalquivir qui passe à Cordoue et à Séville, comme le Tage baigne Aranjuez et Tolède. Olmedo indique ainsi poétiquement les provinces de l’Espagne.
(66) «Non haec jocosa conveniunt lyrae; Quo, musa, tendis. –Ode VIII du Livre 3 d’Horace.
(67) Cette description fait allusion à la forme de la plante qui produit le fruit, connu en Europe sous le nom d’ananas. L’ananas l’emporte sur tous les fruits de la terre par son parfum, son goût et ses vertus médicinales, comme l’ananas d’Amérique l’emporte sur les ananas de l’Europe et comme l’ananas du Guayas l’emporte sur tous les autres des différents climats de l’Amérique. (Note d’Olmedo).
***
VIII
Jugement émis par Bolivar sur le chant d’Olmedo- Correspondance échangée à ce propos entre le héros et le poète. –Les critiques des écrivains espagnols et américains (non transcrites).
La grande célébrité de l’Hymne à Bolivar a laissé un peu dans l’ombre les autres compositions d’Olmedo, exception faite pourtant du sonnet écrit à l’occasion de la mort de sa sœur. Des discussions nombreuses et très vives au sujet des mérites et des défauts de ce long poème ont été engagées de tout temps entre les écrivains les plus remarquables du monde hispano-américain. Mais ces œuvres-là surtout sont dignes de la postérité que la critique discute avec plus de passion et sur lesquelles les jugements contraires sont le plus souvent renouvelés. Le bruit répandu autour du chant d’Olmedo, encore de nos jours où l’exaltation des esprits produite par les faits qu’il perpétue s’est apaisée, prouve incontestablement que les imperfections signalées ne nuisent pas à sa réputation. Ne faut-il pas, «ubi plura nitent», savoir fermer les yeux sur les quelques taches dont le soleil lui-même n’est pas exempt?
Avant de prendre part au débat à notre tour, tout en rappelant les opinions diversement émises, nous devons laisser parler le plus intéressant et le plus intéressé de ces critiques, le héros lui-même. Son jugement, spirituel, éclairé, bien que parfois sévère, fut aussi impartial que vive sa reconnaissance pour le poète qui le portait aux nues et qui, par ce monument durable autant que par sa gloire, rendait son triomphe plus complet.
Bolivar dont le génie militaire et l’imagination ardente ne manquaient ni de culture littéraire ni de goût très raffiné, devait être, en effet, et fut le premier appelé à se prononcer sur la valeur de l’œuvre, instamment prié de le faire par l’auteur lui-même. Voici deux lettres qui nous diront dans quels termes il s’acquitta de ce devoir difficile, montrant ainsi la noble indépendance de son caractère, sa modestie réelle et la finesse de son esprit. L’homme qui, après avoir affranchi un continent et commandé en dictateur plusieurs nations, a tracé les lignes suivantes, prouvant, a-t-on dit avec raison, combien il était digne de son rôle de libérateur et, jusqu’à quel point il a mérité de vivre dans la mémoire reconnaissante du peuple américain.
LETTRES DE BOLIVAR
«Cuzco, le 27 juin 1825
Mon cher ami,
Il y a très peu de jours j’ai reçu en voyage vos deux lettres et un poème. Les lettres sont celles d’un homme politique et d’un poète; mais le poème est celui d’un Apollon. Toutes les ardeurs de la zone torride, tous les feux de Junin et d’Ayacoucho, toutes les foudres du Père de Manco-Capac, n’ont jamais embrasé avec autant d’intensité l’esprit d’un mortel (1). Vous ouvrez le feu… là où il n’y a pas eu le moindre éclat de fusil, vous incendiez la terre avec les étincelles de l’essieu et les roues d’un char d’Achille qui ne roula pas à Junin; vous vous emparez de tous les personnages et vous faites de moi un Jupiter, de Sucre un dieu Mars; de La Mar un Agamemnon et un Ménélas; de Cordova un Achille; de Necochea un Patrocle et un Ajax; de Miller un Diomède et de Lara un Ulysse. Tous, nous avons une ombre divine ou héroïque qui nous couvre de ses ailes protectrices comme un ange gardien. Vous nous façonnez à votre manière poétique et fantastique et, pour continuer au pays de la poésie, de la fiction de la fable, vous nous élevez avec votre divinité mensongère comme l’aigle de Jupiter emporta jusqu’aux cieux la tortue qu’il devait laisser tomber sur un rocher où elle alla se briser les pattes. Ainsi, vous avez fait de nous des êtres si sublimes que vous nous avez précipités dans l’abîme du néant, noyant dans un océan de lumières le pâle éclat de mes vertus peu transparentes. Vous nous avez donc réduits en cendres, mon cher ami, avec les foudres de votre Jupiter, le glaive de votre Mars, le sceptre de votre Agamemnon, la lance de votre Achille et la sagesse de votre Ulysse. Si je n’étais pas si bon et vous si poète, je m’avancerais à croire que vous avez voulu faire une parodie de l’Iliade avec les héros de notre pauvre farce. Mais non; je ne le crois pas. Vous êtes un poète et vous savez bien, autant que Bonaparte, que, de ce qui est héroïque à ce qui est ridicule, il n’y a qu’un pas et que Manolo et le Cid sont frères, bien qu’issus de pères différents. Un américain lira votre poème comme un chant d’Homère et un espagnol le lira comme un chant du Lutrin de Boileau.
Je vous remercie de tout, touché d’une gratitude sans bornes.
Je ne doute pas que vous remplirez dignement votre mission en Angleterre; j’en suis tellement convaincu qu’ayant jeté les yeux sur tout l’empire du Soleil je n’ai pas trouvé un seul diplomate qui fût capable de représenter le Pérou et de négocier pour lui plus avantageusement que vous. Je vous ai adjoint un mathématicien pour qu’il ne vous arrivât pas, entraîné par vos convictions poétiques, de croire que deux et deux font quatre mille. Notre Euclide s’est chargé d’ouvrir les yeux de notre Homère, pour qu’il ne voie pas avec son imagination, mais avec ses sens, et de ne point permettre qu’on le séduise avec des harmonies et des mètres; il se doit d’être tout ouï que pour écouter la prose rude, dure, blessante des hommes politiques et des publicains.
Je suis arrivé hier au pays rituel du Soleil, des Incas, de la fable et de l’histoire. Ici, le vrai soleil c’est l’or; les Incas sont les vice-rois et les préfets; la fable c’est l’histoire de Garcilaso; l’histoire c’est le récit de la destruction des Indiens, écrite par Las Casas. Abstraction faite de toute poésie, tout fait naître en moi des idées élevées, des pensées profondes; mon âme est ravie à la vue de cette nature primitive, qui doit à elle-même son développement, qui crée avec ses propres éléments d’après le modèle de ses inspirations secrètes, sans mélange aucun d’œuvres étrangères, de conseils d’autrui, de fantaisies de l’esprit humain et dans la contagion des crimes et des absurdités de notre espèce humaine. Manco-Capac, l’Adam des Indiens, est sorti de son paradis du lac Titicaca et a formé une société historique, sans mélange de la fable sacrée ou profanée.
…
Dieu le fit homme; lui, fit son royaume et l’histoire a dit la vérité; car les monuments de pierre, les voies amples et droites, les coutumes innocentes et la tradition pure, nous rendent témoins d’une création sociale dont nous n’avions aucune idée, aucun modèle, aucune copie. Le Pérou est un original dans les annales humaines. Cela me semble ainsi parce que je l’ai sous les yeux et tout ce que je viens de vous dire, avec plus ou moins de poésie, c’est l’évidence même.
… Recevez les assurances sincères de mon amitié.
BOLIVAR
(1) Le Père de Manco-Capac, le 1er Inca était Pacha-Camac, l’Etre Tout-Puissant, c’est-à-dire Dieu.
Cuzco, le 12 juillet 1825
Mon cher ami,
J’ai reçu avant-hier votre lettre datée du 15 mai, que je ne puis qualifier autrement que d’extraordinaire, car vous prenez la liberté de me transformer en poète à mon insu et sans m’avoir demandé mon consentement. Comme tout poète est entêté, vous vous êtes efforcé de supposer que j’ai vos goûts et vos talents. Puisque tel est votre bon plaisir et que vous avez pris cette peine, j’imiterai ce paysan que l’on fit roi dans une comédie et qui s’écriait: «puisque je suis roi, je vais rendre la justice». Ne vous plaignez donc pas de mes arrêts, car ne connaissant pas le métier, je donnerai des coups de bâtons d’aveugle, afin d’imiter ce même roi de comédie qui ne laissait pas âme qui vive sans l’envoyer en prison. Abordons notre sujet.
J’ai entendu dire qu’un nommé Horace écrivit aux Pisons une lettre fort sévère où il malmenait rudement les compositions métriques; et son imitateur, M. Boileau, m’a appris un certain nombre de préceptes pour qu’un homme sans mesure puisse tailler et découper quiconque parle très mesurément sur un ton mélodieux et rythmé.
Je commencerai par une faute oratoire, car je n’aime pas débuter par des louanges pour conclure en offenses. Je laisserai mes panégyriques pour la dernière partie de l’œuvre qui, à mon avis, les mérite bien. Préparez-vous maintenant à entendre des vérités qui ne changent pas, ou, pour mieux dire, des vérités prosaïques, car vous savez fort bien qu’un poète présente la vérité d’une façon différente à nous autres, les gens de prose. J’imiterai mes maîtres.
Vous auriez dû effacer beaucoup de vers que je trouve prosaïques ou vulgaires (1); ou je n’ai pas l’oreille musicale, ou… ce sont là des phrases de rhétorique. Excusez mon audace; mais vous vous m’avez livré ce poème et je puis le réduire en miettes, si bon me semble.
Ensuite, vous auriez dû laisser reposer ce chant comme le vin qui est dans la cuve pour le retrouver froid, le déguster et l’apprécier. La précipitation est une grande faute chez un poète. Racine passait deux ans à faire moins de vers que vous et c’est pour cela qu’il est le plus pur versificateur des temps modernes.
Le plan du poème, qui est bon en réalité, présente un défaut capital dans son dessin.
Vous avez tracé un cadre trop petit pour y placer un colosse qui remplit tout l’espace et dont l’ombre voile tous les autres personnages. L’Inca Huaina Capac semble le sujet principal du poème; c’est lui le Génie, lui la sagesse et c’est lui enfin le héros. D’un autre côté, ce n’est pas naturel, je crois, qu’indirectement il encense la religion qui l’a anéanti, et moins naturel encore qu’il ne désire pas le rétablissement de son trône, donnant ainsi la préférence à des étrangers, intrus, qui, tout en vengeant son sang, ne sont pas moins les descendants de ceux qui détruisirent son empire: face à une telle négligence personne ne vous trouvera d’excuse. La nature doit présider à toutes les règles et cela n’est pas dans la nature. Vous me permettrez aussi de vous faire observer que cet Inca-génie qui devait être plus léger que l’air, puisqu’il vient des cieux, se montrant un peu bavard et peu prolixe, ce que les poètes n’ont jamais pardonné au bon roi Henri dans sa harangue à la reine Elisabeth; or, vous le savez, Voltaire possédait ses titres de bienveillance et cependant il n’échappa point à la critique.
Le début du chant est retentissant; c’est la foudre de Jupiter tombant sur la terre pour assourdir les Andes qui se soumettent au verdict sans pareil de Junin. Ici vient à propos un précepte de Boileau qui loue la modestie avec laquelle Homère commence sa divine Iliade; il promet peu et donne beaucoup…
… Je m’arrête pour ne pas paraître rigoureux et injuste envers qui me chante.
La tour de Saint-Paul sera votre Pinde et l’abondante Tamise se transformera pour vous en Hélicon. Là vous trouverez votre chant plein de spleen et, tout en évoquant l’ombre de Milton, vous nous ferez une belle utilisation de ses démons. Avec les ombres de beaucoup d’autres illustres poètes vous vous trouverez mieux inspiré que par l’Inca, qui, en vérité, ne devait savoir chanter que des yaravis (2). Pope, le poète de votre culte, vous donnera quelques petites leçons pour que vous vous remettiez de certaines chutes auxquelles Homère lui-même n’a pas échappé. Vous me pardonnerez si je m’abrite derrière Horace lui-même pour dicter mes oracles. Cette mauvaise langue s’indignait de ce que l’auteur de l’Iliade se fût endormi parfois et vous savez que Virgile avait un vif regret d’avoir fait une fille aussi divine que l’Enéide après l’avoir engendrée pendant neuf ou dix années. Ainsi, mon ami, affiner et affiner encore pour polir les ouvrages des hommes. J’aperçois la terre: je cesse ma critique, ou plutôt mes coups de bâton d’aveugle.
Je vous confesse humblement que la versification de votre poème m’a paru sublime. Vous conservez dans la plus grande partie du chant une flamme vivifiante et continue: quelques unes des inspirations sont originales; les pensées sont nobles et belles; la foudre que votre héros confie à Sucre produit un effet plus grand que la cession des armes d’Achille à Patrocle. La strophe 130 est remarquablement belle; j’entends rouler les tourbillons des chars et je vois les essieux s’embraser: tout cela est grec, homérique. L’entrée en scène de Bolivar à Junin rappelle, bien que de profil, la silhouette de Turnus et d’Enée sur le point d’en venir aux mains. La part que vous faites à Sucre est guerrière et grande. Et quand vous parlez de La Mar, je me remémore Homère chantant son ami Mentor; bien que les caractères soient différents, le cas est semblable; et, d’ailleurs, La Mar ne pourrait-il pas être considéré comme un Mentor guerrier?
Laissez-moi vous demander, mon cher ami, où vous avez puisé tant d’enthousiasme poétique pour maintenir d’un souffle égal ce chant du premier au dernier vers? La fin de la bataille donne la victoire et vous l’avez gagnée, parce que vous avez terminé votre poème d’une façon délicieuse avec de hautes pensées et des idées philosophiques. Votre retour aux champs est pindarique et j’y ai goûté un si grand charme, que je l’appellerai divin.
Poursuivez, mon cher poète, la belle route qui vous a été ouverte par les Muses avec votre traduction de Pope et l’hymne à Bolivar.
Pardonnez-moi, mon cher ami, pardonnez-moi; le coupable c’est vous, qui m’avez improvisé poète.
Votre ami de cœur,
BOLIVAR
(1) Olmedo, dans l’édition définitive de son chant, mit à profit tous ces conseils et perfectionna son œuvre.
(2) Les «yaravis» sont des mélopées touchantes et plaintives, chantées par les Indiens, dont on a pu conserver quelques modèles.
Comme on peut se l’imaginer, Olmedo répondit à Bolivar. Il accepta respectueusement ses observations, mais c’est brièvement qu’il plaida sa cause en invoquant la liberté du génie qui ne supporte pas d’entraves. Voici sa lettre:
Londres, le 19 avril 1826
… Toutes les observations que vous m’adressées sur mon chant de Junin ont, plus ou moins, quelque degré de justice. Vous devez avoir vu que dans la vilaine édition que je vous ai adressai j’avais effacé quelques taches qui ne l’avaient pas été dans le manuscrit par suite de mon désir de vous envoyer une cantilène, œuvre de mon cœur bien plus que de mon imagination. Plus tard j’y ai fait d’amples corrections et de considérables additions; mais, comme le plan n’a pas été changé, au cas où il serait imparfait, il demeure imparfait. Le temps et l’humeur ont manqué pour y faire une modification qui devait tout bouleverser. Loin de ma patrie et de ma famille, entouré d’ennemis et d’occupations graves et très pénibles, non, ce n’était pas le moment, Monsieur, d’accorder ma lyre.
Le chant s’imprime en ce moment avec un grand luxe et sera publié la semaine prochaine. Il porte en première page le portrait du héros, passablement ressemblant, avec la médaille que lui décerna le Congrès de la Colombie et une gravure qui représente l’apparition dans les nuages et l’oracle de l’Inca. Il faut au chant tous ces ornements accessoires pour paraître convenablement parmi des étrangers.
Une de mes raisons, outre celle déjà indiquées, pour ne pas avoir bouleversé de fond en comble le poème, c’est que tel qu’il fut conçu il a eu le bonheur d’être goûté par des palais délicats et difficiles (ceci probablement à cause du but visé). Rocafuerte (1), pour un double motif, y applaudit en des termes démesurément flatteurs, s’il n’avait une si grande affection pour le héros et pour l’auteur. D’autres, qui passent et toujours passèrent pour des connaisseurs, ont écrit et publié des analyses sur cette composition; or je me réjouis, non pas d’être loué, mais d’avoir réalisé (pas trop indignement) un désir cher à mon cœur, ancien et très vif, et de m’être acquitté de la vieille dette contractée par ma Muse envers ma patrie.
Tous les points de votre lettre mériteraient une réponse sérieuse; mais cela ne peut se faire aujourd’hui. Cependant, puisque vous me servez si souvent Horace et votre Boileau qui veulent et ordonnent que les débuts des poèmes soient modestes, je vous répondrai que toutes ces règles et tous ces tracés sont bons pour ceux qui écrivent didactiquement ou pour l’exposition du sujet d’un poème épique. Mais, quel est l’homme assez hardi pour prétendre enchaîner le génie et diriger les emportements d’un poète lyrique? Toute la nature lui appartient, que dis-je, la nature? Toute la sphère du bel idéal est à lui! Un beau désordre, voilà l’âme de l’ode, comme l’a dit votre même Boileau. Si le poète s’élève, laissez-le faire, tout ce qu’on doit exiger de lui, c’est qu’il évite la chute. S’il se maintient au summum, son rôle est rempli; les critiques les plus sévères en restent ébahis, la bouche grande ouverte, et la plume leur tombe des mains. D’un autre côté, j’avoue que plus il tombe de haut, plus sa chute est honteuse, autant que la fuite d’un fanfaron est ignominieuse. Le début ex-abrupto des odes de Pindare est ce qu’il y a de plus admirable dans ses chants. L’imitation de ces débuts ex-abrupto, donnait lieu à ce qu’Horace fut comparé à Pindare.
Vouliez-vous aussi me faire chercher un modèle comme dans le chantre du roi Henri? Qu’y- a-t-il de commun entre ce roi et vous? Il triompha d’une faction et vous, vous avez affranchi des nations. Je reconnais fort bien que les derniers exploits méritaient une épopée; mais je ne suis pas fait pour cet emploi; et, le serais-je, je me garderais fort bien de traiter un sujet où le moindre ornement passerait pour une inexactitude ou une flatterie, la moindre fiction pour un mensonge «mal trovato»; au moindre égarement, on me ferait rougir en me renvoyant aux gazettes. Voilà, pourquoi, si de telles œuvres doivent avoir quelque chose de merveilleux, il faut que leur action, leur héros et leur cadre soient à un demi-siècle au moins de distance. Qui sait si mon humble chant de Junin n’enflammera pas un jour l’imagination d’un de mes petits fils!...
Les principales critiques formulées par Bolivar peuvent se résumer ainsi: début emphatique; quelques vers prosaïques; grossissement des personnages du poème, qui semblent des héros de fable, plutôt que des guerriers modernes; usurpation de la première place dans le plan de la composition par un Inca qui apparaît dans les cieux et tient un langage aussi peu sincère et peu naturel qu’il est long et diffus. En revanche, la part d’éloges est considérable: la versification lui semble sublime; les inspirations originales; les pensées nobles et belles; l’ardeur, l’enthousiasme poétique, le souffle animent et soutiennent le chant d’un bout à l’autre et il y a des passages qu’il qualifie de grecques, dignes d’Homère ou de Pindare, et de divins. Au prix de telles louanges, combien de poètes, dont les œuvres n’ont pas l’honneur d’être soumise à discussion, n’accepteraient volontiers une telle dose de critiques!
Olmedo, dans ses lettres, reconnaissaient comme des défauts capitaux du poème, sa longueur et son manque d’unité; mais il s’extasiait sur la beauté du plan; aussi, dut-il être très surpris du reproche que Bolivar lui fit de l’avoir manqué ou mal tracé, en donnant la première place à l’Inca. Ce plan, dont il était fier, en le trouvant magnifique et hardi, grand et sublime; il persistera à le trouver excellent, et il tiendra toujours pour réussie l’apparition de Huaina Capac. Il l’a dit dans la réponse à Bolivar précédemment transcrite; il va le répéter dans la lettre suivante qu’il lui adressa dix mois plus tard, le 14 janvier 1827, pour le remercier d’avoir consenti à lui envoyer ses lettres de fin de mission!...
«…J’ai reçu une lettre de ma famille, datée de septembre. Elle est remplie de joie, d’espoir et de gratitude envers vous pour la promesse formelle que vous lui avez faite de me rappeler. C’est vous qui deviez me procurer le premier moment de plaisir que j’ai goûté sur le sol étranger… Etant hors de moi à cette nouvelle et tout transporté que j’étais, j’ai commencé à méditer un second chant qui, devant être très important quant à son but, ferait contraste par son genre avec le précédent. Des scènes champêtres de Cachiri, au lieu des champs sanglants de Junin; des parties de chasse, des prairies où paissent les troupeaux, des repas sur l’herbe; des siestes à l’ombre fraîche des arbres, au lieu de bataille et de carnage. Il y aurait eu aussi un oracle comme celui de l’Inca, sur les projets pacifiques que vous méditez pour apaiser le Venezuela, en opposition aux scènes horribles d’Ayacoucho. Des chants et des danses de bergers, au lieu de plaintes, de frayeurs et de combats où coule le sang; de l’amour, au lieu de la haine et de la fureur; de la modération au lieu d’emportement; des groupes de jeunes gens de l’un et l’autre sexe, au lieu des prisonniers qui fermaient la marche triomphale du vainqueur. Enfin, pour imiter les anciens, je voulais terminer avec une apothéose et c’est ici que commença mon embarras, dans le choix de l’endroit du ciel où je devais placer la constellation de mon héros. Ce ne pouvait être auprès du Lion, car celui-ci étant le symbole de l’Espagne, vous ne l’auriez pas laissé vivre en paix. Auprès de la Vierge, non pas, car outre qu’entre un saint et une sainte il faut un mur de pierre et de chaux, on médirait sur ce voisinage d’une vierge et d’un militaire et, pour cette raison, je le garderais plutôt pour les poètes qui, assure-t-on, sont moins dangereux. Vous imaginez-vous quel bouleversement astronomique, si un héros, par un hasard imprévu, allait faire perdre à sa voisine sa réputation et son nom! Pas davantage je ne vous mettrais auprès du Bélier, ou du Taureau ou du Capricorne, parce que je ne veux pas pour votre front d’autres branches que celles du laurier. Où donc? Où? Ne craignez point de rester déplacer. J’ordonnerai au Scorpion, je lui ordonnerai de replier sa noueuse et longue queue pour vous faire une place plus grande que celle qu’il fit jadis à Auguste par ordre de Virgile…»
Nous avons souligné la phrase où il est question d’un oracle pareil à celui de l’Inca pour montrer jusqu’à quel point Olmedo se réjouissait de l’apparition et de la prophétie de Huaina Capac et, par conséquent, du plan de son premier poème. Il était tout disposé à la retracer de même dans un deuxième chant. Quel chagrin profond n’aurait-il pas ressenti de l’opinion de son héros, lui, qui avait à cœur de chanter Bolivar de préférence à tout autre, s’il n’avait eu, en même temps, celle, sincère ou indulgente, mais très favorable et consolante, d’esprits supérieurs, ‘connaisseurs et difficiles’, parmi lesquels Andrés Bello et José Joaquín de Mora…[…]
**ANNEXE: DEUX SOMMETS DES LETTRES HISPANO-AMÉRICAINES ET GRANDS ADMIRATEURS DE LA FRANCE: JOSÉ JOAQUÍN OLMEDO ET JUAN MONTALVO (A)
Dans le n° 9 de ce «Bulletin» (novembre 1969), nous avons eu le plaisir d’offrir à nos lecteurs une étude «inconnue» de Gonzalo Zaldumbide, grand classique, prosateur incomparable, admiré dans tout le monde de la langue espagnole, analysant l’œuvre de Remigio Crespo Toral, l’un des plus notables poètes équatoriens de la fin du 19e et commencement du 20e siècle. De même dans le n° 14 (avril 1974), nous avons esquissé la figure exceptionnelle du poète quiténien Alfredo Gangotena, dont le génie conquit les milieux littéraires parisiens des années 1920-1930.
Dans cette perspective, nous voulons rappeler aujourd’hui le nom d’un illustre Équatorien, diplomate et écrivain, dont l’œuvre très variée est peu connue. Je veux mentionner Víctor Manuel Rendón, ancien ministre plénipotentiaire de l’Équateur en France. Révisant les archives de la Bibliothèque Nationale on peut apprécier les activités de cet illustre «guayaquileño», tant dans sa vie sociale et littéraire, sa résidence était fréquentée par les écrivains et artistes de l’époque, comme par son rôle brillant en tant que Commissaire de l’Exposition Universelle de 1900, à laquelle l’Équateur participa -cas exceptionnel- avec un pavillon qui resta célèbre. Rendón collabora dans de nombreuses revues, faisant connaître son pays et la culture équatorienne. Ainsi l’article que nous offrons de Víctor Manuel Rendón, publié dans «La Vie Latine» (1926), nous présente les deux sommets des lettres équatoriennes.
José Joaquín Olmedo, le chantre de Bolívar, le poète de l’émancipation hispano-américaine, qui introduisit Bolívar -vivant encore- dans une espèce de légende homérique. Olmedo fut l’Ambassadeur de Bolívar à Paris et Londres. «Don Juan Montalvo», apôtre de la liberté et de la dignité de l’homme, «le Cervantes hispano-américain», fit de Paris le centre de son activité littéraire et dans cette ville décéda (1889), au numéro 26 de la rue Cardinet. À la place de l’Amérique Latine (Champerret) s’élève son buste, à côté des plus grands écrivains: Rubén Darío, Martí, Rodó, Bello, entourant le «Libertador»: Simón Bolívar.
A. Darío Lara
JOSÉ JOAQUÍN OLMEDO
Paris est incontestablement -comme on l’a dit- l’unique ville au monde où l’étranger qui voyage s’arrête pour demeurer longtemps ou toujours, alors que partout ailleurs il ne fait que passer. Son charme irrésistible, l’éblouissante Ville Lumière le fit subir, à leur tour, en des époques différentes, aux deux plus grands littérateurs équatoriens, José Joaquín de Olmedo et Juan Montalvo, universellement admirés aujourd’hui dans tous les pays de langue espagnole, je pourrais dire de langue latine.
Olmedo fut un homme d’État éminent et le premier législateur de la patrie après le 9 octobre 1820, date de l’émancipation de Guayaquil, sa ville natale, porte d’or de la République de l’Équateur. Il doit pourtant sa célébrité surtout à son magnifique «Hymne à la Victoire de Junín». Il s’y est immortalisé en glorifiant Bolívar, «El Libertador». Dans l’anthologie des poètes hispano-américains publiée en 1894 par la Royale Académie espagnole, M. Menéndez y Pelayo a dit: «Olmedo est assurément l’un des trois ou quatre grands poètes du monde américain. Quelques-uns lui accordent la première place qu’il mérite si l’on n’a en vue qu’un genre et qu’un style déterminés… Lui, mieux et plus que tout autre, reçut le don de la grande éloquence lyrique, du verbe pindarique, de la continuelle effervescence d’un souffle mâle et généreux; il posséda l’art des images splendides, des cadences sonores et des vers ronflants qui peuplent le cerveau de visions éblouissantes. L’os magna sonaturum d’Horace semble avoir été inventé pour des poètes tels qu’Olmedo».
Cet illustre Équatorien, dont nous avons publié en 1904 la biographie et les poèmes traduits en vers français, fut aussi une des grandes figures et des plus sympathiques de l’indépendance des colonies espagnoles. Il habita Paris, après Londres, en qualité d’agent diplomatique, délégué par Bolívar. Ses lettres au délicieux chantre vénézuélien de la «Végétation de la Zone Torride», son collègue et ami Andrés Bello, qu’il avait laissé en Angleterre, témoignent du vif plaisir qu’il éprouvait à vivre sous le ciel français.
Olmedo, alors âgé de 46 ans, demeura à Paris, du mois de décembre 1826 au mois de juillet 1827 à l’Hôtel des Princes d’abord, puis au 42, de la rue Taitbout. De cette maison, dans la lettre datée du 9 février 1827, il écrivait: «Comme ce climat, ces coutumes, cette langue me plaisent mieux que n’importe quels autres qui ne soient pas ceux de mon pays, je me suis laissé aller à ne pas hâter mon départ…». Dans l’expression franche et sincère d’un sentiment personnel, il reflétait celui de tous les Équatoriens qui aiment à s’attarder sur les rives de la Seine. Il en est un grand nombre et des plus distingués, tels qu’Antonio Flores, l’un des meilleurs présidents de la République, qui, ne s’étant pas pressés de partir, ont leur tombe dans une des nécropoles parisiennes.
De retour sur le sol natal, Olmedo n’oublia jamais la nation aimée et admirée qui lui inspira même des vers en langue française. Il mourut en 1847 sans qu’il lui fût possible de revenir à Paris, où, en 1827, il revécu sous l’habile ciseau d’Alexandre Falguière. Sa statue en bronze, depuis lors, au sein de sa ville natale, fait l’objet de la vénération perpétuelle de ses compatriotes reconnaissants.
JUAN MONTALVO
Juan Montalvo naquit à Ambato, ce fécond verger équatorien qui s’étend au pied du terrible volcan Tungurahua, toujours fumant ou couronné de flammes. On considère Montalvo, à juste titre, comme le plus parfait prosateur de l’Amérique latine. Il a vraiment écrit en langue castillane avec la plus grande pureté; aussi, eut-il l’audace, pleinement justifiée d’ailleurs, de mettre ce sous-titre Chapitres qui furent oubliés par Cervantes au plus important peut-être de ses ouvrages critiques Essai d’imitation d’un livre inimitable. Après sa mort, le Comité Juan Montalvo, de Guayaquil, nous fit l’honneur de nous confier la surveillance de l’impression de ce livre en même temps qu’à M. Clemente Ballén, Consul général, auteur du recueil le plus complet des poésies d’Olmedo, et à M. José Ezequiel Seminario, philologue érudit, généreux ami de Montalvo, deux Équatoriens épris de la France qui s’attardèrent eux aussi à Paris, jusqu’à leur mort. Cette œuvre posthume de Montalvo, imprimée à Besançon, parue en 1895, est une merveilleuse suite aux aventures de Don Quichotte chevauchant en Équateur.
Montalvo a laissé d’autres ouvrages non moins remarquables par l’élévation de la pensée et la correction impeccable du style. Parmi ceux-ci, dont quelques-uns furent écrits à Paris, il faut citer Le Cosmopolite, Les Sept Traités, Le Spectateur, Les Catilinaires, La Mercuriale ecclésiastique, Granja, L’Excommunié, Le Père Lachaise, La Jeunesse s’en va, Les Lettres d’un Père jeune, La Géométrie morale, etc. Il s’y révèle tout à tour publiciste, critique, philosophe, érudit, fougueux polémiste, historien, dramaturge et poète.
Exilé par le fameux Président García Moreno et par d’autres tenants du pouvoir dont les mœurs politiques étaient attaquées à outrance dans ses écrits, il se dirigea toujours vers la France. Ce fut lors de son premier voyage qu’il connut Lamartine. Les malheurs du grand poète lui inspirèrent un article émouvant et touchant. L’historien des Girondins le remercia en ces termes: «J’ai lu ces lignes et j’ai aimé la main étrangère qui les a tracées. Plût au ciel que dans ma patrie on conservât des sentiments semblables! Je ne me verrais pas alors réduit à partager l’ombre de mes arbres entre ma famille et mes créanciers…».
Le 17 janvier 1889, Montalvo, sentant venir la mort, endossa l’habit noir et fit apporter des fleurs dans son salon pour recevoir dignement, dit-il; l’auguste visiteuse qui le trouva debout. Paris perdit ce jour-là un de ses amoureux fidèles et la France un de ses plus fervents admirateurs. Ses obsèques furent célébrées à l’église Saint-François-de-Sales. L’Équateur réclama les cendres de ce fils dont il était fier et que les chefs au pouvoir ne redoutaient plus. La ville d’Ambato lui a élevé une statue dans la pittoresque place ombragée et fleurie qui en porte le nom. Récemment, grâce au zèle patriotique de M. Gonzalo Zaldumbide, Ministre plénipotentiaire de l’Équateur, écrivain renommé, une plaque a été posée sur la façade de la maison de la rue Cardinet où Montalvo est mort.
Ne serait-il pas juste qu’un pareil hommage, tout autant mérité, fût rendu à cet autre ami sincère de la France, à Olmedo, pour perpétuer aussi le souvenir de son séjour à Paris, là où il habita, rue Taitbout?
Víctor Manuel Rendón
Ancien Ministre de l’Équateur en France.
(A) In: «l’Équateur vous attend…», Ambassade de l’Équateur en France, publication de l’Ambassade N°15, novembre-décembre 1971/janvier 1972; pp. 4-5. Lors de notre prochaine actualisation nous publierons les articles culturels écrits ou sélectionnés par M. Darío Lara dans cette publication, en tant qu’Attaché culturel de l’Ambassade de l’Équateur en France.
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